Un rappel toujours utile de la libre révocation du mandat
Dans un arrêt rendu le 4 octobre 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle qu’en vertu de l’article 2004 du code civil, le mandat peut être révoqué par le mandant à tout moment et sans en préciser les motifs.
 
                            Les arrêts publiés au Bulletin portant sur le mandat ne sont pas légion. Ainsi, tout arrêt qui en explore les contours intéresse la pratique utilisant très fortement ce « contrat aux mille visages » (F. Collart Dutilleul et P. Delebecque, Contrats civils et commerciaux, 11e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2019, p. 553, n° 621). Parmi les difficultés issues des textes du code civil régissant la question, on connaît la règle tout à fait particulière dérogeant au droit commun de l’article 2004 du code civil selon lequel « Le mandant peut révoquer sa procuration quand bon lui semble et contraindre, s’il y a lieu, le mandataire à lui remettre soit l’écrit sous seing privé qui la contient, soit l’original de la procuration, si elle a été délivrée en brevet, soit l’expédition, s’il en a été gardé minute ». Les juges du fond ont parfois tendance à s’écarter des conséquences d’une telle disposition en revenant au droit commun de la résiliation des contrats à durée indéterminée. L’arrêt rendu le 4 octobre 2023 par la chambre commerciale permet de s’en rendre parfaitement compte à travers une cassation pour violation de la loi aussi sévère que justifiée.
À l’origine du pourvoi, on retrouve une association qui confie à une société la communication et la publicité de la célèbre foire nationale à la brocante et aux jambons de Chatou qui a lieu deux fois par an. Le contrat initial a été conclu en 1979. Mais voici que le 21 novembre 2013, l’association notifie la rupture du mandat à la société de communication. Cette dernière assigne devant le tribunal compétent son mandant en réparation de son préjudice. En cours d’instance, la société mandataire est placée en redressement judiciaire. L’association a donc appelé en garantie le gérant de la société après le plan de continuation de son ancien partenaire économique, plan arrêté le 26 octobre 2016. En cause d’appel, les juges du fond déclarent brutale la rupture de la relation contractuelle en retenant que la résiliation unilatérale d’un contrat à durée indéterminée ne peut intervenir que si le délai de préavis retenu est raisonnable. Or, le courrier du 21 novembre 2013 ne précise pas de motifs et ne prévoit pas de préavis selon la Cour d’appel de Paris dans son arrêt rendu le 28 janvier 2022.
La société mandante se pourvoit donc en cassation en reprochant à ce raisonnement une violation de l’article 2004 du code civil. Elle obtient gain de cause avec ce bel arrêt publié au Bulletin rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 4 octobre 2023. Nous allons examiner pourquoi une telle solution mérite d’être soulignée.
Théorie générale et droits des contrats spéciaux
En droit commun, le contrat à durée indéterminée peut être résilié en respectant une durée de préavis raisonnable en droit nouveau issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, comme en droit ancien qui régissait le contrat conclu par les parties car antérieur au 1er octobre 2016. La convention initiale a, en effet, été élaborée en 1979. Cette référence au droit commun dans l’arrêt d’appel questionne. Si l’arrêt attaqué précise, en effet, que le contrat peut être résilié « sans en expliquer les motifs », il rappelle plus loin que le courrier du 21 novembre 2013 de résiliation « n’en précise pas les motifs et ne prévoit pas de préavis ». C’est probablement là que le bât blesse.
Outre la contradiction qui pourrait se dégager de cet énoncé, le contrat conclu étant un mandat, les règles du droit commun sur la résiliation du contrat à durée indéterminée n’ont pas vocation à s’appliquer eu égard à la rédaction de l’article 2004. La décision du 4 octobre 2023 vient, une nouvelle fois assurer sa place au droit commun, « concept technique sui generis » par essence (N. Balat, préf. M. Grimaldi, Essai sur le droit commun, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », tome 571, spéc. p. 2, n° 3 sur l’omniprésence de la notion). Elle s’inscrit dans la droite lignée des arrêts rendus ces derniers mois en droit nouveau (v. sur l’art. 1105 c. civ., Com. 20 sept. 2023, n° 21-25.386 FS-B, Dalloz actualité, 27 sept. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 1783  , note T. Gérard
, note T. Gérard  ; sur l’art. 1171 c. civ., 26 janv. 2022, n° 20-16.782 F-B, Dalloz actualité, 1er févr. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 539
 ; sur l’art. 1171 c. civ., 26 janv. 2022, n° 20-16.782 F-B, Dalloz actualité, 1er févr. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 539  , note S. Tisseyre
, note S. Tisseyre  ; ibid. 725, obs. N. Ferrier
 ; ibid. 725, obs. N. Ferrier  ; ibid. 1419, chron. S. Barbot, C. Bellino, C. de Cabarrus et S. Kass-Danno
 ; ibid. 1419, chron. S. Barbot, C. Bellino, C. de Cabarrus et S. Kass-Danno  ; ibid. 2255, obs. Centre de droit économique et du développement Yves Serra (EA n° 4216)
 ; ibid. 2255, obs. Centre de droit économique et du développement Yves Serra (EA n° 4216)  ; ibid. 2023. 254, obs. R. Boffa et M. Mekki
 ; ibid. 2023. 254, obs. R. Boffa et M. Mekki  ; RTD civ. 2022. 124, obs. H. Barbier
 ; RTD civ. 2022. 124, obs. H. Barbier  ).
).
Puisque l’article 2004 du code civil prévoit une règle spéciale, c’est cette règle qui doit s’appliquer à la révocation du mandat. C’est ce que nous allons maintenant examiner.
Le droit du mandat, rien que le droit du mandat
En somme, la décision du 4 octobre 2023 replace au cœur du raisonnement l’article 2004 du code civil lequel prévoit une révocation libre du mandataire. Cette révocation « au bon vouloir du mandant » (F. Collart Dutilleul et P. Delebecque, op. cit., p. 562, n° 628) trouve une très bonne illustration dans cette affaire puisque les relations entre la société de communication et le syndicat organisateur de la foire dataient de la fin des années 70. La relation était donc suffisamment longue pour que l’on se questionne sur sa rupture en 2013.
Le courrier envoyé en 2013, pomme de la discorde dans cette affaire, suffit donc sans qu’aucun préavis ne soit indiqué ni, par ailleurs, que les motifs ne soient expliqués. Alors, certes, le mandataire peut toujours invoquer l’abus de droit et démontrer à l’aide de pièces probantes que son cocontractant a pu faire preuve d’une légèreté blâmable ou, pire encore, d’une intention de nuire. Mais, sur ce point, la tâche est souvent bien difficile car comme le rappelle le point n° 6 de l’arrêt commenté, aucune motif n’a spécifiquement à être avancé de sorte qu’une certaine complexité peut se nouer pour celui qui se pense victime d’un abus du droit de rompre le mandat.
La situation de l’espèce témoigne certainement de cette idée puisque la société de communication agissait en réparation, certainement vexée de la rupture d’un contrat vieux de plus de vingt-cinq ans. Mais la convention rappelait, qui plus est, par une clause expresse la libre révocation du mandataire par le mandant. Une stipulation prévoyait, en effet, que « le syndicat se réserve le droit d’interrompre sans préavis la fonction de chargé de mission de l’intéressé, s’il juge que les termes du protocole ont été transgressés » (v. le moyen développé par le demandeur au pourvoi, n° 5). La rédaction de la stipulation de l’espèce peut interroger car il semble faire rentrer dans le champ contractuel le motif (à savoir la transgression du protocole), ce qui n’a pas été utilisé certainement à dessein par la chambre commerciale dans la motivation de sa cassation. C’est, peut-être, un rendez-vous manqué pour préciser ce que l’on peut exactement intégrer à la sphère contractuelle pour la révocation du mandataire.
L’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux soumis à consultation il y a quelques mois prévoit la reprise de la libre révocation du mandat en prévoyant, pour les contrats conclus à titre onéreux, un préavis raisonnable « à moins que la révocation soit justifiée par un motif légitime, comme la gravité du comportement du mandataire dans l’accomplissement de sa mission ».
En somme, cet arrêt du 4 octobre 2023 est fort intéressant pour la vie des affaires. Il rappelle la portée et l’importance de l’article 2004 du code civil qui fonctionne comme une règle évitant la référence au droit commun de la résiliation des contrats à durée indéterminée. Gare toutefois aux précisions contractuelles sur la révocation du mandataire !
© Lefebvre Dalloz