Une personne publique peut limiter le pouvoir de résiliation unilatérale de l’assureur pour motif d’intérêt général
Le pouvoir de résiliation unilatérale d’un contrat d’assurance octroyé à l’assureur se heurte aux prérogatives dont dispose une personne publique : l’administration peut exiger une poursuite de l’exécution du contrat pour un motif d’intérêt général et un délai d’un an maximum.
La métropole Toulon Provence Méditerranée a conclu le 25 janvier 2021 un marché public avec un groupement composé des sociétés Verspieren et Groupama Méditerranée pour une durée de cinq ans, relatif à une police d’assurance « dommages aux biens et risques annexes ». La société Groupama Méditerranée a fait savoir à la métropole, par un courrier du 7 avril 2023, sa volonté de résilier ce marché à compter du 31 décembre 2023. La métropole s’y est opposée, par un courrier du 21 décembre 2023, et a mis le cocontractant en demeure de se conformer à ses obligations contractuelles. La société Verspieren a averti la métropole du refus par la société Groupama Méditerranée de poursuivre l’exécution du contrat après le 31 décembre 2023.
La métropole a saisi le juge des référés du Tribunal administratif de Toulon d’une demande d’injonction à la société Groupa Méditerranée de poursuivre l’exécution du marché litigieux jusqu’au 31 décembre 2024 au plus tard. Ces conclusions ont été rejetées par le juge des référées comme irrecevables au motif que l’injonction ne revêtait pas un caractère provisoire.
Le Conseil d’État rappelle à cette occasion les prérogatives dont dispose la personne publique lorsque son cocontractant souhaite résilier le contrat, en particulier lorsqu’il s’agit d’un assureur.
La possibilité de recourir au référé « mesures utile » en l’absence de moyen de contrainte pouvant être utilisé par l’administration
Le Conseil d’État considère de longue date qu’« il n’appartient pas au juge administratif d’intervenir dans l’exécution d’un marché public en adressant des injonctions à ceux qui ont contracté avec l’administration, lorsque celle-ci dispose à l’égard de ces derniers des pouvoirs nécessaires pour assurer l’exécution du contrat » (v. à cet égard, CE, sect., 13 juill. 1956, OPHLM du département de la Seine, n° 37656, Lebon
). Toutefois, si la personne publique n’a pas d’autre moyen de contrainte, tiré de sa palette de pouvoirs exorbitants, vis-à-vis de son cocontractant pour la poursuite de l’exécution du marché public, « le juge du contrat est en droit de prononcer, à l’encontre du cocontractant, une condamnation, éventuellement sous astreinte, à une obligation de faire ».
La Haute juridiction a à cet égard reconnu la possibilité pour l’administration de former un référé « mesures utiles » (CJA, art. L. 521-3) pour s’assurer de l’exécution du contrat litigieux (CE 29 juill. 2002, Centre hospitalier d’Armentières, n° 243500, Lebon
; AJDA 2002. 1451
, note J.-D. Dreyfus
; RDI 2003. 78, obs. J.-D. Dreyfus
).
Ainsi, comme jugé dans la décision Grand port maritime de Marseille (CE 12 juill. 2023, n° 469319, Dalloz actualité, 12 sept. 2023, obs. F. Bottini ; Lebon T.
; AJDA 2023. 1366
; ibid. 2184
, note P. Bourdon
; AJCT 2023. 640, obs. O. Didriche
; ibid. 606, étude J.-D. Dreyfus
), le Conseil d’État rappelle les deux conditions cumulatives devant être remplies pour exercer un référé « mesures utiles » dans une telle hypothèse : « en cas d’urgence, le juge des référés peut, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, ordonner au cocontractant, éventuellement sous astreinte, de prendre à titre provisoire toute mesure nécessaire pour assurer la continuité du service public ou son bon fonctionnement, à condition que cette mesure soit utile, justifiée par l’urgence, ne fasse obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative et ne se heurte à aucune contestation sérieuse ».
La possibilité confirmée pour l’administration de limiter le pouvoir de résiliation unilatérale de l’assureur
Les contrats d’assurance bénéficient d’un régime spécifique. En effet, selon l’article L. 113-12 du code des assurances, « l’assureur peut résilier le contrat à l’expiration d’un délai d’un an, à la condition d’envoyer une lettre recommandée à l’assuré au moins deux mois avant la date d’échéance du contrat ».
Ces dispositions s’appliquent aux contrats d’assurance conclus par les personnes publiques, contrats qui sont des marchés publics par détermination de la loi, conformément à l’article L. 6 du code de la commande publique. Dès lors, ce pouvoir de résiliation du contrat d’assurance par l’assureur se heurte nécessairement, comme le souligne le Conseil d’État, aux « principes généraux applicables aux contrats administratifs », dont celui de la poursuite du contrat pour motif d’intérêt général.
En outre, la Haute juridiction a pu considérer dans sa décision Société Grenke location qu’« il est (…) loisible aux parties de prévoir dans un contrat qui n’a pas pour objet l’exécution même du service public les conditions auxquelles le cocontractant de la personne publique peut résilier le contrat en cas de méconnaissance par cette dernière de ses obligations contractuelles ; que, cependant, le cocontractant ne peut procéder à la résiliation sans avoir mis à même, au préalable, la personne publique de s’opposer à la rupture des relations contractuelles pour un motif d’intérêt général, tiré notamment des exigences du service public ; que lorsqu’un motif d’intérêt général lui est opposé, le cocontractant doit poursuivre l’exécution du contrat ; qu’un manquement de sa part à cette obligation est de nature à entraîner la résiliation du contrat à ses torts exclusifs (…) » (CE 8 oct. 2014, n° 370644, Dalloz actualité, 14 oct. 2014, obs. D. Poupeau ; Lebon
; AJDA 2015. 396
, note F. Melleray
; ibid. 2014. 1975
; D. 2015. 145
, note S. Pugeault
; RDI 2015. 183, obs. N. Foulquier
; AJCT 2015. 38, obs. O. Didriche
; AJCA 2014. 327, obs. J.-D. Dreyfus
; RFDA 2015. 47, note C. Pros-Phalippon
).
Au cas d’espèce, comme dans l’affaire Grand port maritime de Marseille, le contrat litigieux a pour but de garantir l’ensemble des biens immobiliers et mobiliers de la métropole Toulon Provence Méditerranée contre des risques d’incendie, d’explosion, de dégâts des eaux, de catastrophes naturelles, d’actes de vandalisme ou encore de terrorisme. Le contrat prévoit un préavis d’une durée de six mois en cas de résiliation. Le Conseil d’État relève que les biens couverts par l’assurance concourent à l’accomplissement de missions de service public, raison pour laquelle « le motif invoqué par la métropole (…) pour s’opposer à la résiliation par la société Groupama Méditerranée du contrat qui les lie (…) constitue un motif d’intérêt général justifiant la poursuite de l’exécution du marché ».
De plus, le préavis de six mois prévu par le contrat est jugé insuffisant pour conclure un nouveau contrat. Le Conseil d’État fait donc droit à la demande formulée par la métropole dans le cadre du référé « mesures utiles » et enjoint la société Groupama Méditerranée de poursuivre l’exécution du contrat, au plus tard jusqu’au 30 décembre 2014. L’assureur peut toutefois contester cette décision devant le juge pour obtenir la résiliation du contrat.
CE 4 avr. 2024, Métropole Toulon Provence Méditerranée, n° 491068
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