Utile rappel des conséquences contractuelles du retrait d’agrément d’un assureur

La Cour de cassation vient réitérer son attachement à l’application littérale de l’article L. 326-12 du code des assurances, portant sur les conséquences d’une décision de retrait d’agrément prononcée à l’encontre d’un assureur sur les contrats d’assurance en cours au jour de la décision.

Le retour au contentieux de l’épineux article L. 326-12 du code des assurances

Après avoir, en 2011, censuré trois décisions rendues par des juridictions de proximité (Civ. 2e, 6 oct. 2011, n° 10-24.519, inédit ; n° 10-24.520, inédit ; n° 10-24.518, inédit ; RGDA 2012. 452, obs. J. Bigot ; et pour les suites judiciaires de l’affaire, Civ. 1re, 29 mai 2013 P, n° 11-28.819, Dalloz actualité, 20 juin 2013, obs. T. de Ravel d’Esclapon ; Gaz. Pal., 10 août 2013, obs. D. Noguéro), c’est au tour d’un arrêt de cour d’appel d’être aujourd’hui cassé pour être tombé dans le piège redoutable tendu par l’application de la règle pour le moins « originale » (D. Noguéro, préc.) issue de l’article L. 326-12 du code des assurances, portant sur les conséquences contractuelles du retrait d’agrément prononcé par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) à l’encontre d’un assureur (retrait prononcé sur le fondement de l’art. L. 325-1 c. assur.).

Il faut dire que les occasions d’application de ce texte sont rares (les décisions de retrait d’agrément sont heureusement peu fréquentes ; sur cette procédure, v. L. Grynbaum [dir.], Assurances, 8e éd., L’Argus de l’assurance, coll. « Droit & Pratiques », 2022, p. 96 s.) et que le dispositif législatif peut apparaître particulièrement retors ou, à tout le moins, « curieux » (Lamy assurances, n° 456) à première lecture. Ceci explique certainement que l’arrêt ici rapporté ait, contrairement aux décisions de 2011, les honneurs d’une publication au Bulletin. C’est que la « rem[ise] à l’heure [de] l’horloge du quai de son siège » (J. Bigot, préc.) opérée par la Cour de cassation en 2011 n’avait manifestement pas été suffisante.

La décision initiale de retrait de l’agrément de la société MTA

Le point de départ de cette affaire réside dans la décision rendue par l’ACPR le 23 août 2016 (ACPR, 23 août 2016, n° 2016-C-39, portant retrait des agréments de la Mutuelle des transports assurances ; B. Cerveau et X. Leducq, Une première liquidation judiciaire en application de la directive Solvabilité 2, Gaz. Pal. 17 janv. 2017, p. 57 ; sur les premières manifestations judiciaires de l’affaire portant sur la contestation d’une première procédure d’insolvabilité ouverte contre MTA en 2014, CE 21 nov. 2014, n° 384353, Mutuelle des Transports Assurances (Sté), Lebon  ; AJDA 2015. 348 , note M. Christelle  ; ibid. 2014. 2279  ; D. 2015. 2145, obs. D. R. Martin et H. Synvet  ; et le traitement de la QPC transmise, Cons. const. 6 févr. 2015, n° 2014-449 QPC, AJDA 2015. 246  ; D. 2015. 319  ; ibid. 1863, obs. L. Neyret et N. Reboul-Maupin  ; ibid. 2145, obs. D. R. Martin et H. Synvet ) par laquelle cette dernière décida de retirer l’agrément de la société Mutuelle des transports assurances (MTA) ouvrant de ce fait la voie à sa liquidation judiciaire (en application de l’art. L. 326-1 c. assur. ; sur les adaptations des règles de la liquidation judiciaire induites par les textes, C. Lang, L’ouverture de la liquidation judiciaire d’un organisme d’assurance dont les agréments ont été retirés et la condition de cessation des paiements, RGDA  2010. 57).

Après trois ans de déboires financiers, l’ACPR a finalement décidé de précipiter la fin de MTA en lui reprochant, d’une part, un défaut de solvabilité, d’autre part, un « plan de financement à court terme (…) manifestement insuffisant pour remédier à cette situation » et, enfin, « l’absence d’élément concret permettant d’établir qu’il existe une perspective sérieuse de régularisation » (S. Acedo, La fin d’une mutuelle d’assurance, L’Argus de l’assurance, 15 sept. 2016) signant ainsi la première décision de retrait d’agrément prononcée depuis l’entrée en vigueur de la directive Solvabilité 2 et la volonté de l’ACPR « d’alerter les assureurs sur la nécessité de répondre désormais aux normes de solvabilité » (B. Cerveau et X. Leducq, préc.).

La question des conséquences de ce retrait sur les contrats d’assurance en cours

De ce fait, c’est le sort de l’ensemble des 5 000 contrats d’assurance en cours au moment de la décision de retrait qui était en jeu. Or, c’est justement l’un de ces contrats qui est au cœur de la décision rapportée. Un contrat d’assurance automobile avait été conclu le 1er janvier 2012 entre MTA et la société Transports Conan afin de couvrir les activités de transport de cette dernière.

Une action fut ensuite introduite par le liquidateur de la société MTA dans le but de forcer la société de transport à payer les primes dues au contrat. Ce contrat prévoyait une reconduction tacite et le paiement d’une cotisation annuelle fractionnée par trimestre. Les conditions générales prévoyaient également une clause de déchéance du terme suspensif par laquelle, en cas de non-paiement d’une fraction de cotisation, toutes les fractions non encore payées de l’année d’assurance en cours devenaient immédiatement exigibles.

La difficile application de l’article L. 326-12 du code des assurances par les juges du fond

En première instance, le liquidateur obtint gain de cause et une ordonnance d’injonction de payer fut adoptée à l’encontre de la société de transport. La cour d’appel décida toutefois de remettre en cause cette ordonnance et de limiter la somme due par la société de transport.

Les juges considéraient, d’abord, que le liquidateur, agissant au nom de MTA, n’apportait qu’un historique sommaire des primes et deux mises en demeure peu explicites. Par ailleurs, le décompte mentionnait des primes réclamées pour la période du 1er septembre au 31 décembre 2016, ce qui semblait contestable aux yeux des juges d’appel en ce que les contrats de la société MTA devaient être réputés résiliés au 10 octobre 2016 (en application de l’art. L. 326-12 c. assur., v. infra).

Les juges considéraient, ensuite et surtout, qu’à compter du 10 octobre 2016, le paiement des primes devenait sans objet dès lors que la société MTA était dans l’incapacité de pouvoir fournir sa prestation d’assurance et qu’il s’agissait alors de vérifier l’adéquation entre la prime payée et le service rendu et non de considérer que le règlement des primes était dû par avance, dès lors que la résiliation du contrat ne résultait pas d’une faute de l’assurée. Ce faisant, la cour d’appel faisait sienne ce réflexe d’incompréhension quasi naturel des assurés face à l’application de l’article L. 326-12 du code des assurances (J. Bigot, préc. ; D. Noguéro, préc.).

Le pourvoi en cassation contesta évidemment la solution de la cour d’appel en relevant, après avoir cité l’article L. 326-12 in extenso, que l’échéance du contrat d’assurance était annuelle et était fixée au 1er janvier de chaque année – soit le 1er janvier 2016 pour ce qui concerne l’affaire –, c’est-à-dire avant la date du retrait de l’agrément par l’ACPR le 23 août 2016. Dès lors, les cotisations du contrat d’assurance étaient nécessairement dues en totalité à la société MTA.

Le rappel de l’interprétation littérale de l’article L. 326-12 du code des assurances

Après avoir reproduit à son tour l’article L. 326-12 dans sa version alors applicable (celle issue de la loi du 26 juill. 2013 applicable jusqu’au 29 nov. 2017 ; le texte fait l’objet de quelques retouches textuelles par l’ord. n° 2017-1608 du 27 nov. 2017 et la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019), la Cour de cassation fait sienne les arguments du pourvoi et censure logiquement la décision de la cour d’appel aux motifs que « les primes échues avant la décision prononçant le retrait de l’agrément sont dues en totalité à l’entreprise, même si elles ne sont définitivement acquises à celle-ci que proportionnellement à la période garantie jusqu’au jour de la résiliation ».

La Cour ne fait ici qu’une application littérale du texte de l’article L. 326-12 comme elle avait déjà pu le faire dans les arrêts de 2011 et 2013 précités. On y retrouve tout le particularisme de la liquidation judiciaire affectant les entreprises d’assurance (v. J. Bigot et al., Entreprises et organismes d’assurance, 3e éd., LGDJ, coll. « Traité de droit des assurances », 2011, t. 1, n° 321) et, en premier lieu, cette forme de caducité des contrats d’assurance en cours au moment du retrait d’agrément par l’ACPR dont l’originalité tient surtout à la date de son effet.

En effet, les contrats souscrits « cessent de plein droit d’avoir effet le quarantième jour à midi, à compter de la publication au Journal officiel de la décision de [l’ACPR] » (C. assur., art. L. 326-12, al. 1, 1re phrase). Ce dispositif ne pose aucune difficulté d’application pratique. Il en va différemment du sort des primes ou cotisations dues par l’assuré. Sur ce point, une « charnière temporelle » (D. Noguéro, préc.), reposant sur la date de la décision de retrait est imposée par le texte. Elle conduit à une distinction, s’expliquant pour « des raisons historiques » (J. Bigot, préc.), entre les primes et cotisations échues avant la décision de retrait et non payées à cette date, d’une part, et les primes et cotisations venant à échéance entre la date du retrait d’agrément et la date de résiliation des contrats, autrement dit pendant la période des quarante jours séparant ces deux dates, d’autre part.

Dans le premier cas, le texte précise que les primes « sont dues en totalité à l’entreprise, mais elles ne sont définitivement acquises à celle-ci que proportionnellement à la période garantie jusqu’au jour de la résiliation » (C. assur., art. L. 326-12, al. 1, 2e phrase). La règle est peu intuitive et conduit l’assuré à « d’abord payer la totalité, et réclamer ensuite le trop payé » (J. Bigot, préc.) si tant est que l’actif de la société d’assurance liquidée soit suffisant pour permettre, dans un deuxième temps, ce remboursement. Autrement dit, le dispositif impose d’abord une obligation au paiement avant de permettre un droit au remboursement. L’assuré devra ainsi être remboursé au prorata de la période allant de la résiliation du contrat à l’échéance de ce dernier.

Dans le second cas, lorsque les primes ou cotisations viennent à échéance entre la date de retrait et la date de résiliation des contrats, les primes « ne sont dues que proportionnellement à la période garantie » (C. assur., art. L. 326-12, al. 1, 3e phrase). Autrement dit, elles ne seront exigibles qu’au prorata de la période garantie, soit, par construction, pendant « quelques semaines de garantie, et n’auront pas en conséquence à faire l’objet d’une restitution » (J. Bigot, préc.).

Les suites de l’affaire

En somme, les juges de la cour d’appel de renvoi devront donc considérer que la société Transports Conan devait payer l’intégralité des primes prévues au contrat d’assurance au titre de l’année 2016. À la société de transport de réclamer ensuite le remboursement de la somme perçue en trop et correspondant à la part des primes versées pour la période allant du 10 octobre 2016 au 31 décembre 2016. La solution, simple en apparence, pourrait toutefois être compliquée par le jeu de la clause de déchéance du terme contenue dans les conditions générales du contrat d’assurance dont les effets ne sont pas traités par la Cour de cassation et qui pourrait donc faire l’objet d’utiles précisions dans la décision de renvoi (sur la clause de déchéance du terme, v. M. Julienne, Régime général des obligations, 4e éd., LGDJ,  2022, p. 57 s., nos 71 s.).

 

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