Utiles précisions sur l’action tendant à la désignation d’un mandataire chargé de provoquer une délibération des associés de SCI
Dans un arrêt du 20 décembre 2023 qui a les honneurs d’une publication au Bulletin, la Haute juridiction met en lumière l’action tendant à la désignation d’un mandataire chargé de provoquer une délibération des associés de SCI. Elle y affirme d’abord que seule la société est nécessairement partie à une telle action. La Haute juridiction rappelle ensuite la nécessité de contrôler la conformité de la demande à l’intérêt social pour qu’elle puisse prospérer.
Le présent contentieux prend racine dans une SCI au sein de laquelle une promesse de cession de parts litigieuses avait donné lieu à une sentence arbitrale. À la suite de ce contentieux arbitral, les cessionnaires avaient sollicité la convocation d’une assemblée générale aux fins de « constater [leur] qualité d’associé et décider la réalisation des démarches et formalités nécessaires à la régularisation subséquente de la situation irrégulière ».
Devant l’absence de réaction de la direction, les intéressés ont tenté d’obtenir la désignation d’un mandataire chargé de convoquer l’assemblée générale sur le fondement de l’article 39 du décret n° 78-704 du 3 juillet 1978, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2019-1419 du 20 décembre 2019. Alors que la société et l’organe de direction se sont opposés à cette demande, un groupe d’associés est intervenu volontairement à l’instance. Les juges du fond ont alors fait droit à la demande de désignation du mandataire ad hoc et par ailleurs rejeté la demande de nullité de l’assignation.
Un pourvoi en cassation permet à la Haute juridiction d’éclairer les spécificités de l’action ayant pour objet désignation d’un mandataire chargé de provoquer la délibération des associés d’une SCI. Pour mémoire l’article 39 du décret n° 78-704 du 3 juillet 1978, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2019-1419 du 20 décembre 2019, applicable au litige, permettait à un associé non gérant d’une société civile de demander au gérant de provoquer une délibération des associés sur une question déterminée. Si le gérant s’oppose à la demande ou garde le silence, l’associé peut, à l’expiration du délai d’un mois à dater de sa demande, solliciter du président du tribunal de grande instance, statuant en la forme des référés, la désignation d’un mandataire chargé de provoquer la délibération des associés (la nouvelle version, issue du décr. n° 2019-1419 du 20 déc. 2019 prévoit que la demande est adressée président du TJ, statuant selon la procédure accélérée au fond).
Deux difficultés étaient soulevées par les auteurs du pourvoi. La première, procédurale, interroge sur les parties à l’instance en présence d’une telle action. La seconde, substantielle, oblige à la vérification de la conformité de la demande à l’intérêt social. La Haute juridiction affirme tout d’abord que seule la société est nécessairement partie à l’instance tendant la nomination d’un mandataire ad hoc.
Elle rappelle ensuite qu’il est nécessaire de contrôler la conformité de la demande à l’intérêt social, et censure pour défaut de base légale l’arrêt d’appel sur ce point.
Seule la société est nécessairement partie à l’action tendant la nomination d’un mandataire ad hoc
Des associés qui n’étaient pas parties à la demande de désignation du mandataire étaient en l’espèce intervenus volontairement à l’instance. Or, ils soulevaient la nullité de l’assignation en arguant d’une violation de l’article 14 du code de procédure civile selon lequel « Nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée ».
Ils soutenaient en effet qu’ils auraient dû être parties à l’instance ayant pour objet la nomination d’un mandataire en vue de provoquer la délibération des associés. Les juges du fond avaient rejeté cette demande. Il est effectivement nécessaire à l’occasion de la demande de nomination d’un administrateur provisoire de mettre en cause à la société au même titre que les associés. Cela correspond à une jurisprudence bien établie (Civ. 2e, 25 mars 1992 P, Rev. sociétés 1992. 302
; Dr. sociétés 1992. Comm. n° 246, note T. Bonneau ; adde Com. 3 nov. 2004, n° 01-01.855, Ehrminger c/ Boucher, D. 2004. 3000
, obs. A. Lienhard
; AJDI 2005. 62
; Rev. sociétés 2005. 418, note J.-F. Barbièri
; RTD com. 2005. 98, obs. C. Champaud et D. Danet
). Dans la mesure où la demande concerne au premier plan la société, il est crucial qu’elle soit mise en cause dans une action où elle est « nécessairement partie », cela eu égard au respect des droits de la défense et du contradictoire. Mais peut-on pour autant en déduire que les associés doivent nécessairement être mis en cause au titre de la demande de désignation d’un mandataire ad hoc ? Les juges du fond ne l’avaient pas pensé. Ils indiquaient par ailleurs qu’il était toujours loisible aux intéressés d’intervenir volontairement. Le pourvoi donne l’occasion à la Haute juridiction de se prononcer sur la question des parties à l’action dont l’objet est la désignation d’un mandataire ad hoc.
Rappelant la lettre de l’ancienne rédaction de l’article 39 du décret n° 78-704 du 3 juillet 1978, la chambre commerciale balaye l’argument développé par les auteurs du pourvoi. Elle adopte une lecture téléologique du texte concerné. Les juges du droit estiment qu’il est destiné à permettre de pallier la carence de l’organe de direction. Il s’agit en effet de remplacer la direction dans sa mission consistant à donner l’opportunité aux associés de délibérer sur une question déterminée Ce faisant, l’action en justice a une nature organique qui « concerne [la] société et ses modalités de fonctionnement ». La conclusion logique tirée par la Cour de cassation en est que « seule la société est nécessairement partie à l’instance tendant, à la demande d’un associé, à la désignation d’un mandataire chargé de provoquer la délibération des associés ». La solution est orthodoxe et permet de confirmer les exigences procédurales relatives à une telle action.
La conformité de la demande tendant la nomination d’un mandataire ad hoc à l’intérêt social
Le troisième moyen du pourvoi permet quant à lui de mettre en avant les conditions de fond relative à la désignation d’un mandataire ad hoc afin de provoquer une délibération des associés. Les demandeurs initiaux avaient déclenché l’action de l’article 39 du décret n° 78-704 du 3 juillet 1978 dans le cadre d’un contentieux qui puisait sa source dans une cession de droits sociaux. Ils souhaitaient que leur soit officiellement – pour ainsi dire – reconnu la qualité d’associé consécutive à la cession en question. Les juges du fond avaient accueilli la demande, ce dont il leur est fait reproche. Le pourvoi critique en effet la décision en ce que la juridiction d’appel n’aurait pas vérifié si la demande de désignation du mandataire était conforme à l’intérêt social. Elle s’était en effet bornée à constater que le délai d’un mois à compter de la demande initiale avait expiré pour procéder à la désignation litigieuse, faisant une application très littérale du dispositif légal.
Au visa de l’article 39 du décret n° 78-704 du 3 juillet 1978, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2019-1419 du 20 décembre 2019, la Haute juridiction censure la décision d’appel pour défaut de base légale. Elle met en exergue le principe selon lequel le juge, saisi par un associé d’une demande de désignation d’un mandataire chargé de convoquer une assemblée générale, doit apprécier la conformité de la demande dont il est saisi à l’intérêt social. Ne l’ayant pas fait, l’arrêt doit être cassé.
L’arrêt rendu par la chambre commerciale témoigne de l’importance de contrôler la conformité de la demande à l’intérêt social, qui s’impose comme une balise cardinale (A. Pirovano, La « boussole » de la société. Intérêt commun, intérêt social, intérêt de l’entreprise ?, D. 1997. Chron. 189
) de la décision judiciaire. Cette exigence avait déjà pu être mise en lumière par la jurisprudence (Com. 15 déc. 2021, n° 20-12.307 FS-B, Dalloz actualité, 18 janv. 2022, obs. X. Delpech ; D. 2022. 8
; ibid. 1875, obs. E. Lamazerolles et A. Rabreau
; Rev. sociétés 2022. 159, note A. Viandier
; Dr. sociétés 2022, n° 16, note J-F. Hamelin ; JCP E 2022. 1164, note B. Dondero ; BJS n° 3/2022. 22, note J. Heinich). La nécessité de démontrer l’adéquation de la demande à l’intérêt social est cruciale dans la mesure où l’issue favorable lui est subordonnée. A ainsi par exemple été jugée conforme à l’intérêt social la demande de désignation d’un mandataire judiciaire aux fins de convocation d’une assemblée générale dans un contexte où des questions importantes, telles que la résiliation d’un engagement de caution et l’évolution prévue des ventes, avaient été laissées en suspens pendant plusieurs mois (Com. 19 juin 1990, n° 89-14092 P-B, D. 1992. 179
, obs. J.-C. Bousquet et G. Bugeja
; Rev. sociétés 1990. 621, note J.-P. Sortais
; RTD com. 1991. 58, obs. C. Champaud
; ibid. 70, obs. C. Champaud
; ibid. 401, obs. C. Champaud
; BJS oct. 1990, n° 271. 881, note P. Le Cannu).
Enfin, l’on peut souligner que, dans l’arrêt sous commentaire, la carence des juges du fond emporte de lourdes conséquences. La Haute juridiction, conformément aux articles 627 du code de procédure civile et L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire, souligne qu’elle a la faculté de statuer au fond lorsque l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie, ce qui est le cas en l’espèce. De manière fort intéressante, la chambre commerciale énonce que l’assemblée générale des associés d’une société est dépourvue de toute compétence pour déterminer si des parts de la société ont fait ou non l’objet d’une cession et, partant, si les détenteurs de ces parts ont, ou non, la qualité d’associé. Ce faisant, la demande de désignation d’un mandataire ad hoc ne peut être conforme à l’intérêt social, ce qui doit logiquement conduire la Haute juridiction à la refuser. L’importance de justifier d’une conformité à l’intérêt social ne saurait apparaître plus clairement.
Com. 20 déc. 2023, F-B, n° 21-18.746
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