Validation d’aides d’État en faveur de compagnies aériennes
La Cour de justice a confirmé la décision de la Commission européenne autorisant la création du fonds de soutien à la solvabilité des entreprises stratégiques espagnoles. Elle a ensuite confirmé la légalité du prêt subordonné de 150 millions d’euros accordé par l’Autriche à la compagnie Austrian Airlines. Dans un cas comme dans l’autre, la mesure financière vise à aider des entreprises nationales connaissant des difficultés temporaires en raison de la pandémie de covid-19.
En raison de la crise sanitaire liée à la covid-19, de nombreuses compagnies aériennes ont bénéficié d’aides financières, sous forme diverses, de la part des Etats. C’était pour elles souvent une question de survie. Ces aides ont souvent été contestées par les compagnies aériennes, singulièrement les compagnies « à bas coûts », dites encore « low cost », qui généralement n’en bénéficiaient pas, sur le fondement du droit européen de la concurrence, précisément au regard de la législation européenne sur les aides d’État. L’article 107 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) prohibe ainsi, comme incompatibles avec le marché intérieur, « dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ». Il en ressort une jurisprudence nourrie dont l’exposé sera suivi par une analyse plus précise des deux derniers arrêts rendus par les juridictions européennes en matière d’aides d’État en faveur de compagnies aériennes dans le contexte de la crise sanitaire.
Exposé de la jurisprudence
a. Tant des décisions de validation que d’annulation ont été rendues par les juridictions européennes. Ainsi, en 2023, le Tribunal de l’Union européenne, compétent pour connaître des recours formés, en matière d’aides d’État, contre les actes des institutions ou organes de l’Union, notamment de la Commission européenne, a rejeté dans son intégralité le recours contre la décision de la Commission approuvant l’aide de la Roumanie à la compagnie aérienne Blue Air, compagnie aérienne roumaine low cost, dans le contexte de la pandémie de covid-19. Cette aide, contestée par une compagnie, également low cost, Wizz Air Hungary, avait pris la forme d’un prêt d’un montant d’environ 62 millions d’euros garanti par l’État et assorti d’intérêts subventionnés. Elle est comparable à la formule du prêt garanti par l’État (PGE) mise en place en France. Pour le tribunal, la Commission a constaté à bon droit qu’il aurait existé, en cas de sortie du marché de Blue Air, un risque concret d’interruption de certains services de transport aérien de passagers, considérés comme importants et compliqués à reproduire dans les circonstances particulières de l’espèce, de sorte que l’aide notifiée visait un objectif d’intérêt commun. Le service fourni par Blue Air présentait un caractère important, car cette compagnie aérienne assurait la connectivité de la Roumanie en desservant des liaisons aériennes intérieures et internationales, tout en ciblant deux catégories spécifiques de passagers dont le déplacement dépendait largement de liaisons aériennes à bas coûts, à savoir les petits entrepreneurs locaux et la communauté roumaine établie hors du pays (Trib. UE, 29 mars 2023, Wizz Air c/ Commission, aff. T-142/21, JT 2023, n° 266, p. 15, obs. X. Delpech
). Pour faire bref, la continuité du service justifiait l’aide financière consentie ; elle est ainsi « rachetée », ce qui la rend compatible avec le marché intérieur. Dans le même ordre d’idées, la Cour de justice a rejeté le pourvoi de Wizz Air au sujet de l’aide au sauvetage accordée par la Roumanie à la compagnie nationale TAROM, l’aide en question, d’un montant de 36 660 000 €, étant compatible avec le marché intérieur car elle vise à prévenir les difficultés sociales ou une défaillance du marché que pourrait causer une interruption des services de TAROM pour la connectivité de régions roumaines (CJUE 11 janv. 2024, Wizz Air c/ Commission, aff. C-440/22 P).
b. Mais des décisions d’annulation ont également été rendues, parfois pour des raisons de fond, parfois pour des raisons de procédure. La première hypothèse concerne notamment les décisions de la Commission autorisant les aides de l’État français à la compagnie Air France (dans la première affaire) et à la holding Air France-KLM (dans la seconde affaire). Selon la Commission, seules Air France et la holding Air France-KLM étaient bénéficiaires de cette aide, à l’exclusion notamment de KLM, société faisant partie du groupe Air France-KLM. Or, pour le tribunal, saisi par les compagnies low cost Ryanair et Malta Air, la Commission a commis une erreur dans la définition des bénéficiaires des aides d’État octroyées ; il considère, au vu de l’examen des liens capitalistiques, organiques, fonctionnels et économiques entre les sociétés du groupe Air France-KLM, du cadre contractuel sur la base duquel les mesures en cause ont été octroyées, ainsi que du type de mesure d’aide octroyée et du contexte dans lequel celles-ci s’inscrivaient, que la holding Air France-KLM (dans la première affaire) et KLM (dans la seconde affaire) étaient susceptibles de bénéficier, à tout le moins indirectement, de l’avantage accordé par les aides d’État en cause (Trib. UE, 20 déc. 2023, Ryanair et Malta Air c/ Commission, aff. T-216/21 ; 20 déc. 2023, Ryanair et Malta Air c/ Commission, aff. T-494/21). Une décision analogue a été rendue à propos de l’aide financière des Pays-Bas en faveur de la compagnie néerlandaise KLM (Trib. UE, 7 févr. 2024, Ryanair c/ Commission, aff. T-146/22).
Auparavant, le tribunal avait annulé la décision de la Commission qui avait approuvé la recapitalisation de Lufthansa, par l’Allemagne, pour un montant de 6 milliards d’euros. En effet, selon le Tribunal, la Commission a commis plusieurs erreurs, notamment en niant l’existence d’un pouvoir de marché significatif de Lufthansa dans certains aéroports et en acceptant certains engagements pris par la compagnie aérienne (en contrepartie de l’aide financière) ne garantissant pas la préservation d’une concurrence effective sur le marché (Trib. UE, 10 mai 2023, aff. jtes, Ryanair c/ Commission, aff. T-34/21, et Condor Flugdienst c/ Commission, aff. T-87/21). À la vérité, ces décisions d’annulation ont une portée essentiellement symbolique, car, entre-temps, les compagnies aériennes bénéficiaires de ces aides financières les ont remboursées en totalité aux Etats qui le leur ont octroyé. Malgré cela, certaines compagnies aériennes ont annoncé avoir déposé des pourvois en annulation des arrêts du tribunal devant la Cour de justice.
Dans une autre affaire, le tribunal, saisi par la compagnie low cost irlandaise Ryanair a annulé la décision de la Commission autorisant une aide à la restructuration en faveur de la compagnie aérienne charter allemande Condor, mais cette fois pour des raisons de procédure. Il s’agissait d’une aide à la restructuration d’un montant de 321 millions d’euros que l’Allemagne envisageait d’accorder à cette compagnie, qui visait à soutenir la restructuration et la poursuite des activités de Condor, remédiant aux difficultés auxquelles cette dernière était confrontée en raison de la faillite de son ancienne société mère, le tour opérateur Thomas Cook. Pour le tribunal, eu égard aux doutes que la Commission aurait dû éprouver en ce qui concerne la compatibilité de cette aide avec le droit de l’Union, elle aurait dû ouvrir une procédure formelle d’examen. Ne l’ayant pas fait, elle n’a pas pu sauvegarder les droits procéduraux des compagnies concurrentes, ce qui n’est possible que dans le cadre d’une telle procédure (Trib. UE, 8 mai 2024, Ryanair c/ Commission, aff. T-28/22, JT 2024, n° 275, p. 11, obs. X. D.
; v. égal., dans le même sens, Trib. UE, 24 mai 2023, Ryanair c/ Commission, aff. T-268/21 : annulation de la décision de la Commission approuvant une mesure d’aide consistant en des subventions versées par l’Italie à des compagnies aériennes italiennes).
Décisions récentes
a. Dans une première affaire, la Cour de justice a confirmé la décision de la Commission autorisant le fonds de soutien à la solvabilité des entreprises stratégiques espagnoles (CJUE 6 juin 2024, Ryanair c/ Commission, aff. C-441/21 P). Cette autorisation a été contestée par Ryanair, car ce dispositif aurait pu bénéficier à des compagnies aériennes espagnoles, comme Vueling. Les faits méritent d’être rappelés. En juillet 2020, l’Espagne a notifié à la Commission un régime d’aides visant la création d’un fonds de soutien à la solvabilité. Les bénéficiaires étaient des entreprises stratégiques espagnoles (non financières) qui connaissaient des difficultés temporaires en raison de la pandémie de covid-19. Le régime prévoyait l’adoption de différentes mesures de recapitalisation. Il cherchait à remédier à la perturbation grave de l’économie espagnole, prise dans sa globalité, dans sa diversité et dans une perspective de développement économique durable. Le budget, financé par l’État, a été fixé à 10 milliards d’euros jusqu’au 30 juin 2021. Par décision du 31 juillet 2020, la Commission a déclaré le régime notifié compatible avec le marché intérieur. Ryanair a alors introduit, devant le Tribunal de l’Union européenne, un recours contre la décision de la Commission, qui a été rejeté (Trib. UE, 19 mai 2021, Ryanair c/ Commission, aff. T-628/20, JT 2021, n° 242, p. 12, obs. X. Delpech
). La compagnie irlandaise a alors introduit devant la Cour de justice un pourvoi contre l’arrêt du tribunal. Mais ce pourvoi a également été rejeté par un arrêt du 6 juin 2024. La Cour a confirmé l’analyse du tribunal selon lequel le régime d’aides en cause ne violait pas le principe de non-discrimination en raison de la nationalité et était proportionné. En effet, considère-t-elle, le droit de l’Union admet des différences de traitement entre les entreprises dans le cas des aides destinées à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre. Ce type d’aide comporte des effets restrictifs qui sont également acceptés. Ryanair n’a pas réussi à démontrer que le régime d’aides espagnol produisait des effets restrictifs qui allaient au-delà des effets inhérents à ce type d’aide et que ce régime constituait donc une entrave à la libre prestation de services et à la liberté d’établissement. Selon la Cour, le Tribunal a estimé correctement que la Commission n’était pas obligée de mettre en balance les effets bénéfiques du régime d’aides en cause avec ses effets négatifs sur les conditions des échanges entre les États membres et sur le maintien d’une concurrence non faussée. Le caractère exceptionnel et le poids particulier des objectifs poursuivis par ce régime permettent de considérer qu’un juste équilibre entre ses effets bénéfiques et ses effets négatifs sur le marché intérieur est assuré, si bien qu’il répond à l’intérêt commun de l’Union.
b. Dans une seconde affaire, la Cour a confirmé la légalité du prêt subordonné – c’est-à-dire assimilable à des fonds propres – de 150 millions d’euros accordé par l’Autriche à la compagnie Austrian Airlines (AUA) à l’été 2020 (CJUE 29 juill. 2024, Ryanair et Laudamotion c/ Commission, aff. C-591/21 P). La Commission avait approuvé cette aide qui lui avait été notifiée. Les compagnies low cost Ryanair et Laudamotion ont alors contesté cette décision devant le Tribunal de l’Union européenne, mais sans succès (Trib. UE, 14 juill. 2021, Ryanair et Laudamotion c/ Commission, aff. T-677/20). La Cour a par la suite, dans son arrêt du 29 juillet 2024, rejeté le pourvoi des deux compagnies aériennes contre l’arrêt du tribunal, confirmant ainsi la décision de la Commission approuvant l’aide litigieuse. La Cour souligne notamment qu’un État membre peut, pour des raisons objectives, réserver à une seule entreprise une aide visant à remédier aux dommages causés par un événement extraordinaire. Elle considère, en outre, que les compagnies requérantes n’ont pas établi que l’aide en cause constituait, du fait qu’elle ne bénéficiait qu’à AUA, une entrave à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services. En effet, elles n’ont pas démontré que cette aide produisait des effets restrictifs qui allaient au-delà de ceux qui sont inhérents à une aide d’État. Or, pour la Cour, le choix de AUA en tant qu’unique bénéficiaire de l’aide en cause est inhérent au caractère sélectif de cette aide.
CJUE 6 juin 2024, Ryanair c/ Commission, aff. C-441/21 P
CJUE 29 juill. 2024, Ryanair et Laudamotion c/ Commission, aff. C-591/21 P
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