VEFA et désordres apparents : forclusion de la garantie de non-conformité
Excluant l’application de la responsabilité contractuelle de droit commun, l’action en indemnisation des acquéreurs relevant de la garantie prévue par l’article 1642-1 du code civil est irrecevable car forclose si elle a été engagée plus d’un an après l’ordonnance désignant l’expert judiciaire.
Selon l’arrêt sous étude, la Cour de cassation rappelle que seuls les articles 1642-1 et 1648 du code civil s’appliquent en cas d’action en indemnisation pour non-conformité apparente d’un bien livré par le biais d’une vente en l’état futur d’achèvement (VEFA).
Rejet de l’action en responsabilité contractuelle de droit commun en appel
En 2015, un promoteur immobilier (Société Iroise) a cédé à deux acquéreurs (Mme L. et M. J.) un appartement ainsi que deux places de stationnement, ce, en l’état futur d’achèvement. Les biens ont été livrés le 10 janvier 2017.
Au moyen d’un référé et se plaignant de désordres et de non-conformités, les acheteurs ont requis une mesure d’expertise judiciaire qui fut ordonnée en avril 2018. Ils ont ensuite assigné la société Iroise promotion en indemnisation de leurs préjudices. Celle-ci leur a opposé une fin de non-recevoir fondée sur la forclusion de leur demande portant sur la dimension de la place de parking extérieure.
Les acquéreurs reprochent alors à la cour d’appel d’avoir confirmé la fin de non-recevoir opposée par le maître d’ouvrage en déclarant l’irrecevabilité de leur action indemnitaire pour forclusion (Rennes, 4e ch., 16 mars 2023, n° 22/05477). Par le biais d’un pourvoi en cassation, ils invoquent le manquement du promoteur à son obligation d’information et de conseil.
Exclusion de la responsabilité contractuelle en faveur de la garantie de non-conformité
La Cour de cassation confirme la décision d’appel et rejette la demande des acheteurs. Elle considère que la garantie légale de non-conformité consacrée par l’article 1642-1 du code civil s’applique de manière exclusive, empêchant donc le recours à la responsabilité contractuelle de droit commun (Civ. 3e, 3 juin 2015, n° 14-15.796, Dalloz actualité, 12 juin 2015, obs. N. Kilgus ; D. 2015. 1208
; ibid. 2016. 449, obs. N. Fricero
; RDI 2015. 400, étude S. Becqué-Ickowicz
; ibid. 414, obs. O. Tournafond et J.-P. Tricoire
; ibid. 422, obs. P. Malinvaud
).
Celle-ci sert en effet de fondement aux acquéreurs qui arguent la présence d’un défaut d’information lors de la conclusion du contrat de vente, étant donné que la dimension de la place de stationnement a été modifiée pendant les travaux, que ce renseignement qu’ils n’ont pas eu était essentiel, et enfin que « la consistance du bien relève de la responsabilité de droit commun ».
Néanmoins, les recours des acheteurs en vertu de désordres et non-conformités apparents sont uniquement régis par des règles spécifiques et d’ordre public édictées par les articles 1642-1 et 1648 du code civil. Celles-ci se substituent obligatoirement à la responsabilité contractuelle classique au sein des rapports entre vendeurs et acquéreurs en VEFA, et demeurent donc les seules invocables en l’espèce. L’arrêt sous étude affirme une nouvelle fois le caractère prioritaire de l’application de cette garantie en cas de non-conformité apparente (v. par ex., Civ. 3e, 23 mai 2024, n° 22-24.191, Dalloz actualité, 18 juin 2024, obs. C. Dreveau ; D. 2024. 1019
; ibid. 2025. 267, obs. R. Boffa et M. Mekki
; RDI 2024. 527, obs. J.-P. Tricoire
).
Forclusion de la garantie de non-conformité : un an à compter de la désignation de l’expert
Eu égard à l’article 1648 susvisé, l’invocation de la garantie de non-conformité doit intervenir « dans l’année qui suit la date à laquelle le vendeur peut être déchargé des vices ou des défauts de conformité apparents ». Dans le cas présent, les biens ont été livrés en janvier 2017, mais le délai d’un an a été interrompu par une assignation en référé faisant courir un nouveau délai de forclusion de même durée à compter de l’ordonnance (Civ. 3e, 11 juill. 2019, n° 18-17.856, D. 2019. 1495
; RDI 2019. 575, obs. M. Faure-Abbad
).
La mesure d’expertise judiciaire est intervenue en avril 2018, lorsque le premier recours des acheteurs a eu lieu le 3 juin 2020 : la mise en œuvre l’article 1642-1 est forclose (Civ. 3e, 21 juin 2000, n° 99-10.313, AJDI 2000. 850
; RDI 2001. 73, obs. C. Saint-Alary-Houin
). Par conséquent, la Haute juridiction déclare le moyen infondé, en ce que l’action en indemnisation de Mme L. et M. J. est irrecevable pour forclusion « pour avoir été engagée plus d’un an après l’ordonnance désignant l’expert judiciaire » (Civ. 2e, 18 sept. 2003, n° 01-17.584, D. 2003. 2548, et les obs.
).
Exclusivité de la garantie légale de l’article 1642-1 du code civil pour une meilleure répartition des risques entre acquéreurs et promoteurs
Si les dispositions de l’article 1642-1 du code civil ont pour finalité de protéger les acquéreurs en VEFA, leur permettant d’engager la responsabilité du vendeur en présence de vices se manifestant promptement après la prise de possession de la construction, elles viennent aussi exclure leur droit de soulever la responsabilité contractuelle classique du vendeur pour en être réparés. Exclusive, la garantie légale prime sur cette dernière en ce qui concerne les défauts apparents : elle supplante et écarte l’invocation d’un autre type de responsabilité générale.
En effet, la multiplication des fondements d’action possibles entraînerait une insécurité juridique, en ce que les litiges deviendraient plus complexes et imprévisibles, et les dispositions expressément conçues pour encadrer les actions découlant de désordres apparents seraient vidées de leur sens.
Cette garantie est spécialement adaptée aux VEFA, puisqu’elle prend en compte la nature de celle-ci, ainsi que les droits et obligations du maître d’ouvrage et de l’acheteur. Dès lors, ce régime introduit un cadre spécifique clair dont le juge du droit se fait le protecteur. Ce dernier souhaite limiter les contournements abusifs en refusant d’admettre la responsabilité contractuelle de droit commun dans de telles situations.
En outre, la troisième chambre civile renforce la stricte limitation temporelle consacrée par l’article 1648. La solution rapportée souligne l’importance pour les acquéreurs d’agir rapidement après la découverte de vices, et, in fine, préserve les promoteurs d’une potentielle fragilisation : ils disposent également d’une garantie.
Civ. 3e, 13 févr. 2025, FS-B, n° 23-15.846
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