Vente avec faculté de rachat : nature de l’action fondée sur l’exercice du droit de rachat
L’action des vendeurs, fondée sur l’exercice régulier de la faculté contractuelle de rachat prévue à l’acte de vente, est une action personnelle soumise à la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil.
La vente immobilière sous condition suspensive est commune dans la pratique notariale ; elle l’est moins sous condition résolutoire. Notamment, le contrat de vente avec faculté de rachat (issu de la L. n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allégement des procédures ; anc. vente à réméré) est peu usité. Déclinaison de garantie par la propriété, ses fonctions sont diverses : lutte antispéculative ; instrument de crédit ; valorisation du patrimoine (107e Congrès des notaires de France, 2011, Rapport, p. 862 s. ; A. Bories, Le réméré, thèse, Montpellier 1, 2004, nos 920 s.).
Dans la présente affaire, des vendeurs ont cédé deux parcelles à une société civile immobilière (SCI) avec faculté de rachat de l’une d’elles pendant la durée légale maximale de cinq ans (C. civ., art. 1660). L’acquéreur devenu propriétaire a fait édifier un immeuble sur les terrains avant que les vendeurs n’exercent leur faculté de rachat dans le délai convenu. Le syndicat des copropriétaires s’y oppose. Treize ans après, les vendeurs assignent la SCI et le syndic de copropriété. Le syndicat des copropriétaires y oppose une fin de non-recevoir pour prescription de l’action. Interjetant appel, les vendeurs voient leur demande accueillie: la cour d’appel de Grenoble juge l’action imprescriptible car tendant à la revendication immobilière.
Le pourvoi du syndicat des copropriétaires fait valoir que seul l’exercice de la faculté de rachat a pour conséquence de reconnaître la qualité de propriétaire des vendeurs. L’action ayant un caractère personnel était donc soumise à la prescription quinquennale (C. civ., art. 2224).
Arrêt de principe
En ce sens, censurant l’arrêt d’appel, la Cour de cassation a, par la décision sous étude du 8 juin 2023, rendu un arrêt de principe au visa des articles 2224 et 1659 du code civil.
Il en ressort que le contrat de vente avec faculté de rachat emporte par définition mutation du droit de propriété ; la faculté de rachat n’étant pas l’objet d’une condition suspensive mais résolutoire, le vendeur n’est donc plus propriétaire du bien cédé (C. civ., art. 1659 : il « se réserve de reprendre la chose vendue »).
L’acquéreur est propriétaire simultanément à la formation du contrat et de façon irrévocable à l’expiration du délai de rachat (C. civ., art. 1662). La faculté de rachat n’opère d’effet que lorsqu’elle est exercée : la résolution de la vente remet les parties dans l’état dans lequel elles se trouvaient avant la formation du contrat, le vendeur retrouve alors la propriété de son bien – sans que cela entraîne une nouvelle mutation (Civ. 24 oct. 1950, Bull. civ. I, n° 203 ; Civ. 3e, 31 janv. 1984, Bull. civ. III, n° 21 ; Com. 20 nov. 2007, Bull. civ. IV, n° 250) ou emporte ouverture de droits de préemption. D’évidence, il en résulte la qualification d’action personnelle et partant la prescription de l’action des vendeurs dans l’affaire présentée.
La seule notification du choix d’user de la faculté de rachat ne produit pas d’effet
La solution invite à rappeler que la seule notification du choix d’user de la faculté de rachat ne produit pas d’effet (en l’espèce, la lettre recommandée avait été adressée dans le délai fixé par les parties). L’exercice du droit doit donc être distingué de la résolution du contrat. Seul le remboursement du prix et des accessoires entraîne la réalisation de la condition et, partant, la résolution du contrat (Cass., req., 14 janv. 1873, DP 1873. 1. 185 ; Civ. 3e, 20 déc. 2006, Bull. civ. III, n° 257 ; Civ. 3e, 8 nov. 2018, n° 14-25.005, Dalloz actualité, 30 nov. 2018, obs. D. Pelet ; D. 2018. 2183
) – d’où le visa de l’article 1659 du code civil dans l’arrêt rapporté.
Ces exigences restent la contrepartie du caractère potestatif de la faculté de rachat.
Outre les conséquences en matière de prescription, le caractère personnel de l’action offre des avantages au vendeur. Son droit de créance (J. Rochfeld, Les droits potestatifs accordés par le contrat, in Le contrat au début du XXIe siècle, Études offertes à J. Ghestin, LGDJ, 2001, p. 747 s.) que constitue la faculté de rachat ne pourra être saisi (ses créanciers restent cependant libres d’exercer une action oblique, art. 1341-1 c. civ.), mais il conserve le droit de le céder.
Enjeux pratiques
Enfin, rappelons les enjeux pratiques lorsque l’acquéreur a, pendante conditione, hypothéqué, grevé de servitudes ou donné à bail son bien.
Seule l’exécution du bail sera maintenue malgré la résolution du contrat (C. civ., art. 1673, al. 2 – cette exception est toutefois appelée à être remise en cause, v. C. civ., art. 1616, Avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux, présid. Pr. P. Stoffel-Munck, juill. 2022).
Par ailleurs, lorsqu’il a fait édifier un immeuble, les enjeux sont importants en matière de restitutions. Le critère de la proportionnalité afin d’écarter une demande en démolition semble difficilement opposable au vendeur en présence d’un pacte de rachat, car l’acquéreur a édifié en connaissance de cause.
En ce sens, il a été jugé que le vendeur peut contraindre l’acquéreur à démolir, et ce, sans indemnité, au regard de sa mauvaise foi tirée de l’édification en vue d’anéantir la faculté de rachat du vendeur (C. civ., art. 555 ; C. imp. Agen, 28 mars 1860, S. 1860. 2. 167).
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