Vente de la chose d’autrui et disparition de la cause de nullité en cours d’instance

Dans un arrêt rendu le 5 décembre 2024, la troisième chambre civile de la Cour de cassation précise que la nullité de la vente de la chose d’autrui invoquée par le sous-acquéreur est impossible quand la régularisation de la vente principale intervient au cours de l’instance en nullité.

Il est assez rare de croiser des décisions publiées au Bulletin concernant la délicate question de la vente de la chose d’autrui. L’arrêt du 5 décembre 2024, rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, attire donc nécessairement l’attention. L’affaire permet de mettre en lumière un point inédit, qui n’est pourtant pas si rare en pratique, concernant la possibilité pour le sous-acquéreur de poursuivre la nullité de la vente de la chose d’autrui quand intervient, au cours de cette instance en nullité, la régularisation de la vente principale. La réponse donnée dans la décision examinée aujourd’hui semble correspondre à l’objectif de l’article 1599 du code civil.

Les faits puisent leur source dans l’acquisition, par une société, de plusieurs lots de copropriété dans un immeuble à usage de résidence hôtelière par un premier acte authentique du 10 mai 1990. Le 28 décembre suivant, un de ces lots est revendu à une autre société par un second acte authentique reçu par la même société civile professionnelle de notaires. Cette dernière opération est financée par un prêt souscrit auprès d’un établissement de crédit. Le sous-acquéreur ayant acquis ce lot précis, ainsi que son associé unique, décident, par plusieurs assignations de novembre et de décembre 2010, de poursuivre la nullité pour vente de la chose d’autrui du contrat conclu le 10 mai 1990, ce qui doit avoir pour conséquence, d’une part, la nullité de la vente du 28 décembre 1990 et, d’autre part, du crédit souscrit. En cause, une difficulté qui n’est pas précisément évoquée par la décision, ce qui en complique sensiblement la pleine compréhension. Il devrait s’agir, toutefois, d’une nullité absolue de la première vente compte tenu des données indiquées dans le moyen développé par les demandeurs à la cassation (pt n° 6 de la 2e branche du moyen, combiné au pt n° 11 de la motivation de l’arrêt frappé du pourvoi). Quoi qu’il en soit, en cours d’instance, la vente principale fait l’objet d’une réfection par un nouvel acte authentique du 4 juillet 2017 afin de couvrir la cause de nullité. Le processus de réfection avait, par ailleurs, été déclenché dès le 4 juillet 2012 par le premier vendeur alors placé en liquidation judiciaire. 

En cause d’appel, les juges du fond considèrent que l’opération ne pouvait plus être contestée par la première société venderesse en raison de la réfection opérée par l’acte authentique du 4 juillet 2017. Dès lors, tout risque d’éviction du sous-acquéreur avait disparu. Par conséquent, la cour d’appel a débouté les demandeurs de leur action en nullité pour vente de la chose d’autrui et, ce faisant, de leurs autres prétentions concernant la seconde vente et le crédit souscrit pour la financer.

Le sous-acquéreur et son associé unique se pourvoient en cassation. Ils considèrent, au contraire, que leurs différentes actions en nullité pouvaient prospérer puisque l’assignation introductive avait été enrôlée avant la régularisation de juillet 2017. L’arrêt rendu le 5 décembre 2024 est l’occasion d’apporter une précision inédite sur les conséquences de cette régularisation de l’acte principal en cours de procédure.

Objectif de la nullité pour vente de la chose d’autrui

L’article 1599 du code civil ne vient pas régler, explicitement du moins, le problème identifié par le pourvoi. Sa lettre étant insuffisante pour déterminer si le sous-acquéreur peut maintenir son action en dépit d’une régularisation, il convient, dès lors, de se tourner assez logiquement vers l’objectif que poursuit la règle. On se rappellera, d’ailleurs, que parfois le recours à l’utilité d’une disposition législative peut aboutir à en tordre la compréhension littérale comme nous l’avons évoqué dans ces colonnes il y a quelques mois à propos de l’article L. 143-17 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 réformant le droit des sûretés (Com. 26 juin 2024, n° 23-11.020 FS-B, Dalloz actualité, 3 juill. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 1230 ; ibid. 2137, obs. Centre de droit économique et du développement Yves Serra (EA n° 4216) ; Dalloz IP/IT 2024. 433 et les obs. ; RTD civ. 2024. 692, obs. C. Gijsbers ).

Revenons-en à la décision commentée aujourd’hui. La troisième chambre civile utilise une motivation enrichie pour citer plusieurs décisions de justice qui ont pu préciser que l’article 1599 « ne tend qu’à protéger l’acquéreur, qui a donc, seul, qualité pour l’invoquer » (pt n° 7, citant not., Civ. 3e, 9 mars 2005, n° 03-14.916, D. 2005. 919 ; AJDI 2005. 859 , obs. F. Cohet-Cordey ). L’affirmation n’étonnera guère tant elle est bien établie en droit positif. Cette orientation n’empêche pas le véritable propriétaire de poursuivre, contre l’acquéreur, une action en revendication, laquelle n’a pas à attendre une nullité préalable de la vente de la chose d’autrui (F. Terré, P. Simler et V. Forti, Droit des biens, 11e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2024, p. 421, n° 498).

Cette protection exclusive de l’acquéreur est importante comme point de départ du raisonnement dans l’affaire étudiée aujourd’hui. C’est le seul risque de l’éviction de l’acheteur par le véritable propriétaire qui en justifie la portée, d’où cette restriction importante de la qualité à agir opérée par le texte (F. Collart-Dutilleul, P. Delebecque et C.-E. Bucher, Contrats civils et commerciaux, 12e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2023, p. 152 s., n° 122). Toutefois, un tel point de départ est insuffisant pour régler la difficulté. Il en est d’ailleurs de même pour la précision opérée concernant la disparition du risque d’éviction avant l’action en nullité (v. not., cité par l’arrêt commenté, Com. 5 nov. 2002, n° 00-14.885, D. 2003. 70 , obs. E. Chevrier ; RTD com. 2003. 58, obs. B. Saintourens ). Dans ce cas, la nullité de la vente de la chose d’autrui est couverte.

Mais, là-encore, cette précision – si elle est utile pour déterminer le contexte du problème – ne permet pas de déminer la difficulté précise d’une régularisation au cours de l’action en nullité. C’était d’ailleurs l’un des points cruciaux qu’avançaient les demandeurs au pourvoi dans la deuxième branche de leur moyen. Ces derniers arguaient que la régularisation de la vente du 10 mai 1990, opérée en 2017, était postérieure à l’assignation introductive de 2010. Tout l’enjeu du problème réside, par conséquent, dans le choix entre deux options :

  • soit le régime juridique de la nullité de la vente de la chose d’autrui est unifié, que la cause de nullité soit couverte avant l’assignation introductive ou pendant l’instance en nullité ;
  • soit il convient d’opérer une distinction entre ces deux situations. Resterait alors à trouver la raison d’une telle dissociation en droit positif.

Le choix opéré par la troisième chambre civile a le mérite de la simplicité. 

Impossibilité d’obtenir la nullité en cas de régularisation pendant l’instance

Il peut paraître assez douteux de considérer qu’il conviendrait d’opérer une différence entre le régime de la disparition du risque d’éviction avant l’enrôlement de l’assignation introductive en nullité de la vente de la chose d’autrui et cette même disparition au cours de l’instance en nullité. La seule raison qui pourrait être discutée resterait la possibilité effective d’une éviction subie par le sous-acquéreur jusqu’à ce moment précis de la régularisation. Mais l’argumentation ne semble guère déterminante si le risque ne s’est pas matérialisé. La troisième chambre civile ne s’y trompe pas en refusant d’opérer une telle distinction probablement superflue en droit positif.

La solution est, de manière limpide, résumée en ces termes : « le fondement de la nullité de la vente de la chose d’autrui résidant exclusivement dans la nécessité de protéger l’acquéreur d’un risque d’éviction, elle ne peut être prononcée lorsque, la régularisation de la vente principale étant intervenue en cours d’instance, tout risque d’éviction du sous-acquéreur a disparu au jour où le juge statue » (pt n° 10, nous soulignons). On retrouve donc la disparition du risque d’éviction qui prolonge opportunément les solutions examinées précédemment applicables à une disparition antérieure à l’assignation introductive. Cette identité des orientations choisies reste tout à fait opportune pour éviter de dévoyer la règle de l’article 1599 du code civil de son objectif. Le choix des mots « au jour où le juge statue » dans la motivation de la Cour de cassation a dû être opérée à dessein. Elle rappelle utilement le traitement de certaines questions en droit positif au sein d’autres matières. C’est le cas, par exemple, des fins de non-recevoir pour lesquelles l’irrecevabilité doit être écartée si la régularisation de la situation intervient au moment où le juge statue (C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile – Droit commun du procès civil – Modes amiables de résolution des différends (MARD), 37e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2024, p. 339, n° 399). 

Faut-il, à l’heure d’une potentielle réforme du droit des contrats spéciaux, intégrer cette précision dans la lettre de l’article 1599 du code civil ? La question se discute. Il semblerait que les rédacteurs de l’avant-projet de réforme n’ont pas fait ce choix au sein du nouveau texte proposé par la commission présidée par le professeur Philippe Stoffel-Munck (v. p. 20 de l’avant-projet commenté). Une précision dans le marbre de la loi pourrait avoir comme principal avantage d’éviter des hésitations sur le maintien d’une telle interprétation jurisprudentielle.

Voici, en somme, un bien bel arrêt concernant la vente de la chose d’autrui. La thématique, rare dans des décisions publiées, est fondamentale pour la pratique du droit civil. La décision tend largement à sécuriser les opérations qui font l’objet de régularisation en cours d’instance. En pareille situation, la nullité n’est plus ouverte au nouvel acquéreur et ce même s’il a subi un risque d’éviction pendant une partie du procès en nullité qu’il a diligenté.

 

Civ. 3e, 5 déc. 2024, FS-B, n° 21-18.445

© Lefebvre Dalloz