Vente immobilière et clause de non-garantie : la servitude non apparente n’est (toujours pas) un vice caché

La garantie d’éviction s’applique aux servitudes non apparentes et non déclarées lors de la vente, et ce, à défaut d’une clause contraire. Une clause stipulant, au titre de l’état du bien, que l’acquéreur prendra celui-ci dans l’état où il se trouve au jour de la vente et n’aura aucun recours contre les vendeurs pour quelque cause que ce soit, n’aura pour effet d’exclure la garantie d’éviction pour les servitudes non apparentes et non déclarées.

Le code civil connaît deux garanties que doit le vendeur à l’acquéreur : la garantie des vices cachés et la garantie d’éviction. Une servitude non apparente, détectée après la vente, entraînera l’applicabilité de la seconde garantie. La volonté jurisprudentielle de ne pas appliquer la garantie des vices cachés aux servitudes non apparentes – volonté assez récente au vu de l’histoire –, est encore affirmée ici avec vigueur, à propos de l’exclusion d’une clause aménageant le régime de la garantie légale.

Les faits sont assez classiques : après la vente d’une maison d’habitation par les nus-propriétaires à l’usufruitier, puis la revente de cette maison à un autre acquéreur, ce dernier découvrit la présence d’un réseau d’évacuation des eaux usées. Il n’en était pas fait mention dans l’acte de vente – qui de surcroît portait sur un bien acheté « en l’état ». L’acquéreur assigna les vendeurs en résolution de la vente sur le fondement de la garantie d’éviction et de l’article 1638 du code civil. Mais la cour d’appel rejeta une telle demande en s’appuyant sur une clause de non-garantie des vices cachés et des vices apparents, la clause précisant en outre que l’acquéreur prenait le bien « en l’état ». L’acquéreur forma son pourvoi sur la violation par la cour d’appel de l’article 1638 du code civil. Le contenu de la clause excluait la garantie des vices cachés et portait uniquement sur l’état intrinsèque de la chose vendue ; une telle clause ne pouvait donc en aucun cas exonérer le vendeur de sa garantie contre l’existence d’une servitude non apparente grevant le bien.

La cassation paraissait prévisible. À l’appui de sa motivation, et en visant deux articles du code civil, la troisième chambre civile interprète la garantie légale d’éviction en se livrant à un peu de théorie juridique et de technique contractuelle.

Un peu de théorie juridique : la garantie d’éviction, un principe général et son application

L’article 1638 du code civil concerne le régime de la vente en cas de servitudes non apparentes absentes de l’acte de vente, ce qui peut entraîner la résolution. La Cour de cassation interprète cet article comme étant « une application du principe général posé par l’article 1626 du même code ». L’arrêt s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence antérieure, à propos de l’applicabilité de l’article 1638 à une action en indemnisation du préjudice résultant d’une servitude occulte découverte après la vente.

En expliquant que l’importance du caractère occulte d’une servitude conditionnait la résiliation de la vente et non la réparation du préjudice lié, la troisième chambre civile avait déjà posé cette distinction entre le principe général et son application (Civ. 3e, 6 juill. 2023, n° 22-13.179, Dalloz actualité, 15 sept. 2023, obs. A. Martineau ; D. 2023. 1310 ). La garantie de non-éviction est ainsi qualifiée par la troisième chambre civile de principe général. Semblent alors coexister deux lectures normatives de l’article 1638 ; c’est une norme légale, qui pose une garantie dont les articles suivants précisent le régime ; mais c’est également un principe général, qualifié comme tel par la Cour de cassation, dont les articles suivants constitueraient des règles d’application.

Si l’on comprend la raison sous-jacente de l’argument – les « servitudes non apparentes » de l’article 1638 doivent s’interpréter comme relevant des « charges non déclarées lors de la vente » de l’article 1626, ce qui permet d’appliquer le régime de l’éviction à des situations ne relevant pas exactement de la servitude « civiliste », comme par exemple des servitudes administratives (v. à ce sujet, C. Mimran, obs. ss. Civ. 3e, 6 juill. 2023, n° 22-13.179, préc., Gaz. Pal. 12 déc. 2023, n° GPL45710) –, la motivation même ne nous semble pas des plus logiques.

Le principe général oriente la garantie d’éviction vers l’ordre public virtuel ; ainsi la Cour de cassation pourra appliquer un régime protecteur à des situations ne relevant pas strictement de la servitude. L’arrêt de 2023 concernait une servitude de canalisation du réseau public des eaux usées ; il s’agissait dans cet arrêt d’un réseau d’évacuation des eaux usées, qui correspond davantage à la notion de servitude (v. ainsi, Civ. 3e, 17 juin 2021, n° 20-19.968, Dalloz actualité, 7 juill. 2021, obs. G. Tamwa Talla ; D. 2021. 1185 ; ibid. 2022. 1528, obs. Y. Strickler et N. Reboul-Maupin ; AJDI 2022. 59 , obs. N. Le Rudulier ; RDI 2021. 482, obs. J.-L. Bergel ).

Un peu de technique contractuelle : de l’inefficacité de la clause de non-garantie

L’article 1627 du code civil dispose que « les parties peuvent, par des conventions particulières, ajouter à cette obligation de droit ou en diminuer l’effet » ; mais encore faut-il que ladite clause concerne bien le bon régime… autrement, elle sera impuissante à l’exclure. Pédagogue, la troisième chambre civile rappelle bien que la clause litigieuse, « propre à l’état du bien, n’excluait pas expressément la garantie des servitudes non apparentes déclarées ».

La cour d’appel avait en effet interprété très largement la clause, laquelle stipulait que « l’acquéreur prendra celui-ci dans l’état où il se trouve au jour de la vente et n’aura aucun recours contre les vendeurs pour quelque cause que ce soit, notamment en raison des vices apparents ou cachés ». L’expression « pour quelque cause que ce soit » aurait-elle pu être interprétée comme englobant l’action en garantie d’éviction, auquel cas l’adverbe « notamment » aurait renvoyé à « par exemple » ? Cela paraît peu probable pour deux raisons.

D’abord, peut-on vraiment concevoir une clause excluant toute action « pour quelque cause que ce soit » ? L’équilibre contractuel – soutenu par les droits fondamentaux d’accès au juge y contreviennent ; en plus d’être inefficace, une telle clause serait peut-être illicite…. L’adverbe « notamment » renvoie alors plutôt à « en particulier ».

Ensuite, les juges du fond ont isolé le contenu de la clause de son contexte car la clause portait un titre : « État du bien ». Pour la troisième chambre civile, l’état du bien renvoie aux défauts affectant l’usage de la chose ce qui s’entend certes d’un vice mais non d’une servitude. La cour d’appel aurait-elle souhaité assimiler le vice caché à la servitude occulte, ravivant ainsi l’état de l’ancien droit (sur lequel, E. Meiller, La servitude n’est pas un vice caché, JCP N 2013. 1151) ?

C’est oublier l’attachement de la troisième chambre civile au cloisonnement : une servitude non apparente ne constitue pas un vice caché (Civ. 3e, 27 févr. 2013, n° 11-28.873, RTD civ. 2013. 410, obs. W. Dross )…

Pourquoi distinguer si strictement le vice caché de la servitude occulte et par là, la chose altérée dans son usage du droit du propriétaire atteint par l’éviction ? N’y a-t-il pas des servitudes si contraignantes qu’elles en reviennent à altérer l’usage de la chose pour le propriétaire du fonds servant (ainsi une servitude de canalisation empêchant l’acquéreur d’une vente d’immeuble de réaliser des travaux d’une grande importance) ?

Ne faudrait-il pas livrer le régime à une casuistique et faire confiance aux juges du fond ?

L’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux propose en ce sens de faire disparaître la mention de servitude de la garantie d’éviction (art. 1623 s.). Mais à l’heure actuelle, la troisième chambre civile marque son attachement au cloisonnement des garanties.

En théorie…

 

par Ariane Gailliard, Maître de conférences, Université Toulouse Capitole

Civ. 3e, 13 févr. 2025, FS-B, n° 23-17.636

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