Vérification des créances et indivisibilité du litige ou lorsque la qualité fait défaut
Le jugement ayant arrêté le plan d’une société et désigné le commissaire à l’exécution du plan ne met pas fin aux fonctions du mandataire judiciaire pour le temps nécessaire à la vérification des créances de sorte qu’en cette matière indivisible, l’absence de ce dernier à hauteur d’appel entraîne l’irrecevabilité de l’appel.
Double lecture
Les praticiens des procédures collectives savent que les organes de la procédure peuvent au cours d’une même instance perdre une qualité, pour parfois en retrouver aussitôt une autre. Procéduralement, le piège est alors grand ouvert, surtout en matière de vérification des créances et d’un objet du litige indivisible.
Il faut en passer par une présentation factuelle sans doute un peu longue mais indispensable à une compréhension des arrêts d’appel et de cassation révélée par plusieurs allers-retours de l’un à l’autre. La chose est d’autant plus nécessaire que l’arrêt de cassation ne dit pas tout, comme souvent, du déroulement de la procédure et si l’arrêt de la cour d’appel dit tout, elle inverse parfois les parties au litige… Mais si ce n’est cette confusion, la motivation de la Cour de Douai est excellente et elle sera approuvée par la Cour de cassation.
Si l’on remet les choses dans l’ordre, cela donne à peu près ceci : se prétendant victimes d’un détournement de correspondances électroniques, Monsieur O. et la société Financière de l’Étoile ont saisi le 16 mai 2016 le Tribunal judiciaire d’Arras afin d’obtenir des dommages et intérêts pour divers préjudices causés par la société Concorde Patrimoine (dans laquelle M. O. exerçait l’activité de mandataire commercial) et par son dirigeant Monsieur P. La société Concorde Patrimoine a fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire le 10 octobre 2018, la SELAS MJS Partners étant désignée ès qualités de liquidateur judiciaire. La société Financière de l’Étoile, créée et dirigée par Monsieur O., a été de son côté placée en redressement judiciaire par jugement du Tribunal de commerce d’Arras du 6 novembre 2020. Maître D., nommé en qualité de mandataire judiciaire, est intervenu volontairement à l’instance engagée contre la société Concorde Patrimoine. Par jugement du 6 octobre 2021, le Tribunal de commerce d’Arras a fixé au passif de la société Concorde Patrimoine, en liquidation judiciaire, diverses sommes au titre de la réparation des préjudices subis par la société Financière de l’Étoile et a condamné M. P. à garantir les condamnations.
Le 8 novembre 2021, Monsieur P. a interjeté appel de ce jugement sans intimer Maître D., mandataire judiciaire de la société Financière de l’Étoile. Le plan de redressement de la société Financière de l’Étoile a été adopté le 29 juin 2022 et Maître D. a été désigné commissaire à l’exécution du plan. Devant la Cour d’appel de Douai, Monsieur O. et la société Financière de l’Étoile, intimés, ont soulevé l’irrecevabilité de l’appel en raison de la suspension des poursuites individuelles et l’absence d’intimation du mandataire judiciaire mais le conseiller de la mise en état l’a estimé recevable.
La société Financière de l’Étoile et Monsieur O. ont déféré cette décision en raison de l’absence de mise en cause du mandataire judiciaire de la société Financière de l’Étoile alors que l’instance d’appel concernait la vérification et l’admission des créances. La Cour de Douai estima que l’appel de Monsieur P. tendait à l’infirmation du jugement et reconventionnellement demandait la fixation au passif de la société Financière de l’Étoile diverses sommes déjà déclarées au passif mais non encore admises en raison d’un sursis à statuer du juge-commissaire dans l’attente de la procédure d’appel en cours et, au regard de l’indivisibilité du litige, infirma la décision du conseiller de la mise en état du fait de cette absence du mandataire judiciaire.
Devant la chambre commerciale financière et économique, Monsieur P. contestait l’arrêt d’irrecevabilité rendu sur déféré en prétendant que si les actions introduites avant le jugement qui arrête le plan de redressement et auxquelles le mandataire judiciaire est partie sont poursuivies par le commissaire à l’exécution du plan, cette règle ne concerne toutefois pas les instances qui étaient en cours à la date du jugement d’ouverture du redressement judiciaire.
La Cour de cassation rejette le pourvoi au visa de l’article 553 du code de procédure civile qui dispose qu’en cas d’indivisibilité à l’égard de plusieurs parties, l’appel formé contre l’une n’est recevable que si toutes sont appelées à l’instance et que « le lien d’indivisibilité existant entre le créancier, le débiteur et le mandataire judiciaire en matière d’admission des créances trouve à s’appliquer à l’instance qui était en cours lors du jugement d’ouverture de la société Financière de l’Étoile et qui, après avoir avait été régulièrement reprise, était susceptible d’affecter le passif de cette société ». En effet, le mandataire judiciaire de la société Financière de l’Étoile était partie en première instance et le jugement ayant arrêté le plan de cette société et ayant désigné le commissaire à l’exécution du plan n’avait pas mis fin à ses fonctions de mandataire judiciaire pour le temps nécessaire à la vérification des créances. Aussi, le mandataire judiciaire de la société Financière de l’Étoile n’ayant pas été intimé à hauteur d’appel, la cour d’appel en a exactement déduit que l’appel était irrecevable.
Double peine
Le demandeur au pourvoi avançait qu’après le jugement arrêtant le plan de redressement, l’action en paiement engagée contre le débiteur avant le jugement d’ouverture de son redressement judiciaire est poursuivie contre ce dernier redevenu maître de ses biens, ni le commissaire à l’exécution du plan ni le mandataire judiciaire n’ayant qualité pour poursuivre l’instance et qu’aucune irrecevabilité ne pouvait être encourue sur une action introduite le 17 mai 2016 par la société Financière de l’Étoile, dont la procédure de redressement judiciaire ouverte le 6 novembre 2020 avait donné lieu à l’adoption d’un plan de redressement le 29 juin 2022. On comprend la stratégie poursuivie, mais elle faisait fi de l’indivisibilité évidente du litige et d’un mandataire judiciaire, partie en première instance et non intimé, qui restait toujours en charge de la vérification du passif, un sursis à statuer ayant été ordonné par le juge-commissaire précisément dans l’attente de l’instance d’appel. La Cour de cassation approuve donc la cour d’appel qui avait rappelé un principe bien connu selon lequel le lien d’indivisibilité existe toujours entre le créancier, le débiteur et le mandataire judiciaire en matière d’admission des créances. Ici, il trouvait à s’appliquer à l’instance qui était en cours lors du jugement d’ouverture de la société Financière de l’Étoile et qui, après avoir avait été régulièrement reprise, était susceptible d’affecter le passif de cette société.
La Cour de Douai avait d’ailleurs justement relevé qu’en application de l’article L. 626-24 du code de commerce (et non L. 626-22 comme le mentionne l’arrêt de cassation), la désignation du commissaire à l’exécution du plan ne met pas un terme à la mission du mandataire judiciaire relativement à la vérification des créances et que ce mandataire restait donc la partie concernée par les actions qui y ont trait jusqu’à l’établissement définitif de l’état des créances. Au cas présent, Monsieur P., appelant, avait déclaré trois créances indemnitaires au passif de la procédure collective de la société Financière de l’Étoile et la demande d’admission de ces créances avait fait l’objet d’un sursis à statuer par trois ordonnances rendues le 16 juin 2021 par le juge-commissaire du Tribunal de commerce d’Arras tandis que la décision à intervenir de la cour d’appel avait nécessairement une incidence sur le processus d’admission et de vérification des créances dans le cadre de la procédure collective de la société Financière de l’Étoile.
Il n’en fallait pas plus pour caractériser une indivisibilité qui, on le sait, est consubstantielle aux procédures collectives et entraîne inévitablement de lourdes sanctions, tantôt l’irrecevabilité de l’appel, tantôt la caducité totale de la déclaration d’appel. Si, dans la procédure de sauvegarde, l’administrateur, avec mission d’assistance, n’a pas à être intimé en appel (Com. 20 avr. 2017, n° 15-18.182, Dalloz actualité, 3 mai 2017, obs. X. Delpech ; D. 2017. 917
; RTD com. 2017. 437, obs. J.-L. Vallens
), en cas d’appel d’un jugement d’ouverture d’un redressement judiciaire ou de conversion en liquidation judiciaire, l’administrateur devra, à peine d’irrecevabilité de l’appel, être intimé par application de l’article R 661-6, 1°, du code de commerce qui précise que « Les mandataires de justice qui ne sont pas appelants doivent être intimés ». Et en matière de vérification des créances, le lien d’indivisibilité entre le créancier, le mandataire judicaire et le débiteur-appelant, oblige ce dernier non seulement à intimer le mandataire judiciaire mais aussi à lui signifier ses conclusions dans les délais à peine de caducité totale de la déclaration d’appel (Com. 13 déc. 2017, n° 16-17.975 F-P+B, Dalloz actualité, 16 janv. 2018, obs. R. Laffly ; D. 2018. 5
). Mais si le mandataire judiciaire au redressement judiciaire, partie en première instance, n’a pas été intimé, la signification de l’acte d’appel et des conclusions par la société appelante n’entraîne pas de régularisation « dans une matière où l’objet du litige est indivisible » de sorte que l’appel est irrecevable (Civ. 2e, 2 juill. 2020, n° 19-14.855 F-P+B+I, Rev. prat. rec. 2020. 7, obs. D. Cholet et O. Salati
). C’est donc cette indivisibilité qui conduit directement à une double sanction : l’omission du mandataire judiciaire sur l’acte d’appel entraînera l’irrecevabilité de l’appel et son intimation sans que lui soit signifié l’acte d’appel ou les conclusions de l’appelant conduira à la caducité totale de la déclaration d’appel.
Double casquette
Quelle était la qualité exacte de Maître D. ? En l’espèce, il avait non seulement la qualité de mandataire judiciaire de la société Financière de l’Étoile, mais aussi celle, depuis l’adoption du plan de redressement de la société Financière de l’Étoile, de commissaire à l’exécution du plan. Pour autant, cette nouvelle « qualité » n’autorisait pas l’appelant à s’affranchir de le viser, sur sa déclaration d’appel, en sa qualité de mandataire judiciaire. La seconde qualité ne chassait pas la première ; la mutation n’engendrait pas la disparition. En effet, le mandataire judiciaire restait en mission dans le cadre de la vérification du passif (établissement de la liste des créances déclarées, proposition d’admission ou de rejet…) tandis que celle-ci ne ressortait pas de la mission du commissaire à l’exécution du plan. Et il ne pouvait être plaidé, indépendamment du visa de cette qualité, que Maître D. était bien mentionné sur l’acte d’appel, sa seule qualité ayant été omise, puisque, quelle qu’elle fût, il n’avait jamais été intimé en cause d’appel ! Mais il eût pu l’être, et même facilement, là se trouve l’avantage de l’indivisibilité du litige. Dès lors en effet que le premier appel avait été formé dans le délai, il restait possible, au-delà même du délai légal, d’interjeter appel à l’égard du mandataire judiciaire. La possibilité est depuis longtemps admise et toujours consacrée (Civ. 3e, 23 juin 1999, n° 97-22.607 P ; Civ. 1re, 5 oct. 1994, n° 92-20.149, D. 1995. 358
, note J. Massip
; RTD civ. 1995. 327, obs. J. Hauser
; Civ. 2e, 7 sept. 2017, n° 16-20.463, Dalloz actualité, 21 sept. 2017, obs. R. Laffly). La régularisation peut même intervenir au-delà du délai de l’appelant pour conclure, pourvu que ce soit avant l’audience de plaidoirie (Civ. 2e, 23 mars 2023, n° 21-19.906 F-B, Dalloz actualité, 19 avr. 2023, obs. R. Laffly ; AJ fam. 2023. 248, obs. F. Eudier et D. D’Ambra
). L’indivisibilité à les défauts de ses qualités, et les qualités de ses défauts.
Double détente
Si la chambre commerciale ne se plaçait pas sur ce terrain-là, la Cour d’appel de Douai avait décider d’enfoncer, aussi bien surabondamment que malicieusement, le clou : « Par ailleurs, si Maître D. a été désigné en qualité de commissaire à l’exécution du plan par jugement du 29 juin 2022, il était toutefois mentionné au jugement dont appel en qualité de mandataire judiciaire. À cet égard, la cour observe qu’au moment de l’acte d’appel, il avait toujours cette qualité de sorte qu’il appartenait à M. P., eu égard au lien d’indivisibilité existant entre les parties, de l’intimer dans le cadre de sa déclaration d’appel, sans pouvoir exclure cet organe de la procédure collective de l’instance en appel ».
Effectivement, on l’a vu, Maître D. était intervenu volontairement en première instance en qualité de mandataire judiciaire, tandis que le plan de redressement de la société Financière de l’Étoile avait été adopté en juin 2022, Maître D. étant alors désigné commissaire à l’exécution du plan. Or, l’appel datant de novembre 2021, il avait, à la date de régularisation de l’acte d’appel et peu important cette double qualité acquise par la suite, celle, unique de mandataire judiciaire, partie à l’instance, le jour où l’appel avait été formé. Il ne pouvait qu’être intimé en tant que mandataire judiciaire, à peine d’irrecevabilité de l’appel. Indivisibilité oblige, l’indivisibilité oblige.
Com. 2 oct. 2024, F-B, n° 23-18.665
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