Vers un contrôle de conventionalité in concreto des règles de procédure civile ? À propos du formalisme excessif en cause d’appel en matière d’enlèvement international d’enfants

L’article 905-1 du code de procédure civile, qui n’établit aucune distinction selon la qualité de l’intimé et ne prévoit aucune exception à la règle quand l’intimé est le procureur général, s’interprète en ce sens que l’appelant est tenu de signifier sa déclaration d’appel au procureur général lorsqu’il est intimé. Fait en revanche preuve d’un formalisme excessif la cour d’appel qui fait prévaloir, dans la procédure de retour immédiat engagée sur le fondement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, le principe de l’obligation, pour l’appelant, de signifier sa déclaration d’appel à tous les intimés y compris le procureur général à peine de caducité totale de la déclaration d’appel, alors même qu’elle avait constaté que le procureur général avait conclu devant elle et que la déclaration d’appel avait été signifiée à l’autre intimé.

La friction de la procédure d’appel à la française et du droit supranational de l’enlèvement international d’enfants ne pouvait que faire des étincelles. La première est tout entière tournée vers la forme et, même, le formalisme, cependant que le second n’a d’égard véritable que pour le fond et le bien-être de l’enfant, dont l’intérêt supérieur doit être préservé quasiment à tout prix.

Par cet arrêt récent, la deuxième chambre civile vient expliquer, après la première chambre civile (Civ. 1re, 5 avr. 2023, n° 22-21.863, Dalloz actualité, 20 avr. 2023, obs. C. Bléry ; D. 2023. 686 ) et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH 5 nov. 2015, Henrioud c/ France, n° 21444/11, Dalloz actualité, 18 nov. 2015, obs. F. Mélin ; D. 2016. 1245 , note G. Bolard ), que le pointillisme de la procédure civile française ne saurait par trop restreindre le conventionnel droit d’accès au juge en matière d’enlèvement international d’enfants. Au diable les formes quand le fond est à ce point crucial : tel est le message. Digne d’une ferme approbation au cas présent, cette jurisprudence pourrait néanmoins initier un nouveau paradigme, autrement plus général, et conduire à l’instauration d’un contrôle de conventionalité in concreto en procédure civile, que la deuxième chambre civile se refuse encore officiellement à conduire.

C’est à de telles fins et réflexions que conduit l’analyse du présent arrêt, à l’origine duquel se trouve la naissance d’un enfant en 2015. À compter de septembre 2018, la famille réside en Ukraine. Un jour, une procédure est engagée devant le juge ukrainien concernant la détermination des modalités d’exercice de l’autorité parentale. Alors que la procédure suit son cours, le père rapatrie l’enfant en France en 2019. En 2020, la mère saisit l’autorité ukrainienne d’une demande de retour de l’enfant, sur le fondement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. Courant 2020, un procureur de la République près un tribunal judiciaire assigne le père devant un juge aux affaires familiales ; la mère intervient volontairement à l’instance.

Par jugement du 21 janvier 2021, le tribunal judiciaire constate l’illicéité du déplacement mais retient que l’enfant s’est intégré en France depuis son arrivée en 2019. Le tribunal judiciaire rejette en conséquence la demande de retour de l’enfant. La mère relève appel le 26 janvier 2021, intimant le père et le procureur général. L’affaire suit le circuit court, i.e. la procédure à brefs délais.

Par ordonnance du 15 juin 2021, le président de chambre dit caduque la déclaration d’appel en relevant que l’appelante ne l’a pas signifiée au procureur général. Sur déféré, et non sur appel peut-on supposer (§ 7), la cour d’appel confirme : elle dit la déclaration d’appel caduque dans son ensemble, tant à l’égard du procureur général qu’à l’égard du père. C’est l’arrêt attaqué.

De première part, la requérante à la cassation assène que le procureur général n’est pas une partie comme les autres : il n’a pas à constituer avocat devant la cour d’appel pour pouvoir prendre part à la procédure et y être représenté. Or la signification de la déclaration d’appel a normalement vocation à inciter l’intimé à constituer avocat après une notification infructueuse du greffe. Dès lors, cette formalité est dépourvue de sens à l’égard du parquet général de sorte que l’appelant devrait pouvoir en faire l’économie.

De seconde part, la requérante invoque le formalisme excessif : imposer malgré tout cette formalité à l’appelant sous peine de caducité de la déclaration d’appel revient à lui imposer une charge procédurale inutile et excessive dont la sanction le prive définitivement de son droit de former appel principal et constitue en conséquence une atteinte disproportionnée et injustifiée au droit d’accès au juge.

À la première branche du moyen, la deuxième chambre civile répond sèchement : là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer. Ainsi, l’article 905-1 du code de procédure civile « qui n’établit aucune distinction selon la qualité de l’intimé et ne prévoit aucune exception à la règle quand l’intimé est le procureur général, doit être interprété en ce sens que l’appelant est tenu de signifier sa déclaration d’appel au procureur général lorsqu’il est intimé » (§ 10).

La seconde branche du moyen emporte néanmoins la cassation

La deuxième chambre civile déploie une motivation notablement enrichie, déjà mobilisée par la première chambre civile en son temps (Civ. 1re, 5 avr. 2023, n° 22-21.863, préc.). En substance, la Cour de cassation, après avoir rappelé l’importance générale du droit au juge et la prohibition du formalisme excessif (§§ 13 et 16), souligne le caractère crucial de l’accès au juge dans le contexte de la Convention de La Haye de 1980 sur l’enlèvement international d’enfants, qui repose sur la coopération interétatique et la coordination des autorités (§§ 14 et 15). La Cour de cassation mentionne d’ailleurs qu’en 2015, la Cour européenne l’a rappelé à la France, elle qui avait alors eu l’heur de faire prévaloir la rigueur de la procédure de cassation sur les impératifs de fond en cette délicate matière qu’est l’enlèvement international d’enfants (§ 17, qui vise CEDH 5 nov. 2015, Henrioud c/ France, n° 21444/11, préc.).

Le conclusif est net : fait preuve d’un formalisme excessif la cour d’appel qui fait « prévaloir, dans la procédure de retour immédiat engagée sur le fondement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, le principe de l’obligation, pour l’appelant, de signifier sa déclaration d’appel à tous les intimés y compris le procureur général » à peine de caducité totale de la déclaration d’appel, « alors même qu’elle avait constaté que le procureur général avait conclu devant elle et que la déclaration d’appel avait été signifiée » à l’autre intimé (§ 19). Concrètement, la deuxième chambre civile enjoint de neutraliser en ce cas toute sanction associée au défaut de signification de la déclaration d’appel au procureur général.

In globo, voilà un arrêt qui étonne voire détonne. Il convainc difficilement quand il impose in asbtracto la signification de la déclaration d’appel au procureur général et il surprend lorsqu’il neutralise in concreto la caducité de la déclaration d’appel.

La signification de la déclaration d’appel au procureur général

En circuit court, l’appelant doit signifier sa déclaration d’appel à l’intimé, dans les dix jours à compter de la réception de l’avis de fixation adressé par le greffe (C. pr. civ., art. 905-1), qui deviendront vingt jours au 1er septembre 2024 (C. pr. civ., art. 906-1 issu du décr. n° 2023-1391 du 29 déc. 2023). La sanction est la caducité de la déclaration d’appel. Elle ne frappe néanmoins pas en tous les cas : par exemple, lorsque l’intimé constitue avocat avant la signification de la déclaration d’appel, il est alors procédé par notification à son avocat sans risque de caducité (Civ. 2e, avis, 12 juill. 2018, n° 18-70.008, Dalloz actualité, 12 sept. 2018, obs. R. Laffly ; D. 2018. 1558 ; ibid. 2048, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle ; ibid. 2019. 555, obs. N. Fricero ; AJ fam. 2018. 570, obs. M. Jean ; 2 juill. 2020, n° 19-16.336, Dalloz actualité, 11 sept. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 1472 ). La jurisprudence rappelle bien l’objet de la signification de la déclaration d’appel : inciter l’intimé à constituer avocat afin qu’il puisse prendre pleinement part à son procès en cause d’appel.

La deuxième chambre civile l’explique de façon fort pédagogique : « L’obligation faite à l’appelant, par les articles 902 et 905-1 du code de procédure civile, de signifier cette déclaration d’appel à l’intimé tend à remédier au défaut de constitution de ce dernier à la suite de ce premier avis du greffe, en vue de garantir le respect du principe de la contradiction, exigeant que l’intimé ne puisse être jugé qu’après avoir été entendu ou appelé. L’acte de signification de la déclaration d’appel rappelle donc que l’intimé qui ne constitue pas dans les quinze jours suivant cet acte s’expose à ce qu’un arrêt soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire. Une fois que l’intimé a constitué un avocat, cet objectif recherché par la signification de la déclaration d’appel est atteint » (Civ. 2e, avis, 12 juill. 2018, n° 18-70.008, préc.).

Qu’en est-il au cas où l’intimé est le ministère public, i.e. le procureur général en cause d’appel ? Même si l’article 905-1 du code de procédure civile n’établit aucune distinction, on pourrait s’attendre à un traitement particulier pour une raison élémentaire : devant la cour d’appel, « le procureur général représente en personne, ou par ses substituts, le ministère public près la cour d’appel » (COJ, art. L. 312-7). Le parquet général peut ainsi pleinement participer à la procédure d’appel sans constituer avocat. D’ailleurs, dans la présente affaire, il est constant que le procureur général a pu prendre part au procès en concluant sur le fond.

Ce traitement particulier du ministère public en cause d’appel se retrouve à l’endroit de la notification des conclusions. Par un arrêt de 2017, la deuxième chambre civile a en effet énoncé que le ministère public est une partie « qui est dispensée de constituer un avocat », ce dont il résulte que les conclusions doivent lui être notifiées dans le délai de leur remise au greffe de la cour d’appel tels qu’indiqués aux articles 908 à 910 du code de procédure civile ; elles ne doivent pas lui être signifiées dans le mois suivant l’expiration desdits délais comme c’est le cas en présence d’un litigant non constitué (Civ. 2e, 28 sept. 2017, n° 16-21.881, Dalloz actualité, 12 oct. 2017, obs. R. Laffly ; D. 2018. 692, obs. N. Fricero ). En un sens, le ministère public est structurellement conçu comme une partie ayant constitué avocat.

Partant, on pouvait s’attendre à voir la Cour de cassation maintenir, à la rigueur, l’exigence d’une notification de la déclaration d’appel au parquet général en circuit court, mais pas à peine de caducité – exactement comme au cas d’un intimé s’étant constitué avant la signification de la déclaration d’appel. La deuxième chambre civile ne s’engage cependant pas dans cette voie. Là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer : l’article 905-1, « qui n’établit aucune distinction selon la qualité de l’intimé et ne prévoit aucune exception à la règle quand l’intimé est le procureur général, doit être interprété en ce sens que l’appelant est tenu de signifier sa déclaration d’appel au procureur général lorsqu’il est intimé » (§ 10). Et la sanction de caducité semble maintenue par principe, même s’il est vrai que la deuxième chambre ne l’indique pas expressément.

Cette position jurisprudentielle est pour partie compréhensible : il est vrai qu’à un moment ou un autre, il convient pour l’appelant d’avertir le parquet général de son intimation, en application du principe de la contradiction (C. pr. civ., art. 14). Mais le véhicule de la signification est-il adapté ? Et le maintien de sanction de caducité est-il opportun ? On peut en douter, particulièrement au cas où le parquet général non rendu destinataire d’une signification de la déclaration d’appel prend malgré tout part à la procédure, ce qui nous conduit au second aspect de la décision, décisif à notre estime.

La caducité de la déclaration d’appel neutralisée in concreto

Avant tout, rappelons que la deuxième chambre civile se refuse officiellement à conduire le contrôle de conventionalité in concreto à l’endroit des règles de la procédure civile (sur la distinction des contrôles, N. Regis, En quels sens peut-on dire du contrôle de conventionnalité mis en œuvre par la Cour de cassation qu’il est abstrait ou concret ?, Just. et cass. 2023. 575).

La « deuxième chambre civile de la Cour de cassation, qui a en attribution, notamment, la procédure civile, soumet, s’il y a lieu, les normes de procédure à une vérification de conventionalité comportant un contrôle de proportionnalité in abstracto, à l’exclusion, toutefois, d’un contrôle in concreto qu’elle estime, en principe, incompatible avec les impératifs de prévisibilité et de sécurité juridiques que requièrent les règles de procédure civile » (Memento du contrôle de conventionalité au regard de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, p. 14, n° 65).

À quoi le président Pireyre, à l’époque président de la deuxième chambre civile, a opiné, défendant l’inopportunité du contrôle de conventionalité in concreto des règles de procédure civile (Rapport du groupe de travail sur le contrôle de conventionalité, Note relative au contrôle de proportionnalité pratiqué en matière de procédure civile par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, 2020, p. 16), ce qui a généralement fixé la doctrine de la chambre en question, croyons-nous. La principale explication donnée est là : les « droits de procédures » arborent un statut conventionnel particulier et les règles de procédure civile ne sont pas des règles comme les autres (sur cette vaste question, P. Deumier, Les règles de procédure, des règles pas comme les autres ?, Mélanges en l’honneur du professeur Loïc Cadiet, LexisNexis, 2023, p. 457) ; la règle de procédure civile incarne ce qu’il est commun d’appeler « la règle du jeu » ; or si la règle du jeu n’est plus fiable, comme pouvant être écartée en raison de sa trop grande dureté d’application au cas concret, c’est le chaos qui guette et le jeu (le procès civil en l’occurrence) devient injouable puisque tout est sujet à discussion.

La deuxième chambre civile n’a certes pas transformé cette position en jurisprudence explicite mais elle s’est toujours implicitement refusée, nous semble-t-il, à opérer le moindre contrôle de conventionalité in concreto des règles de procédure civile. Elle procède volontiers au contrôle de conventionalité in abstracto, qui se solde souvent par un brevet de conventionalité (v. par ex., Civ. 2e, 24 sept. 2015, n° 13-28.017, Dalloz actualité, 8 oct. 2015, obs. M. Kebir ; D. 2016. 736, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, G. Hénon, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati ). Elle procède aussi et plus souvent à l’interprétation (ou la réinterprétation) des règles de procédure civile à la lueur du droit au procès équitable, pour fixer les maximes générales de conduite en la matière (v. par ex., Civ. 2e, 7 mars 2024, n° 21-19.475, Dalloz actualité, 20 mars 2024, obs. M. Barba ; D. 2024. 860 , note M. Plissonnier ; AJ fam. 2024. 183, obs. F. Eudier ; RDT 2024. 277, chron. S. Mraouahi ). En revanche, la deuxième chambre civile se refuse à opérer le contrôle de conventionalité in concreto des règles de procédure civile.

Cette position n’est pas à l’abri de la critique. On fera en particulier observer que la Cour européenne n’a pas explicitement accordé aux règles de procédure civile un statut conventionnel particulier. Mieux, elle procède volontiers au contrôle de conventionalité in concreto des règles de procédure civile via la prohibition du formalisme excessif, ce que la France ne saurait ignorer pour en avoir fait les frais (CEDH 9 juin 2023, Xavier Lucas c/ France, n° 15567/20, Lucas c/ France, AJDA 2022. 1190 ; D. 2022. 2330, obs. T. Clay ; ibid. 2023. 571, obs. N. Fricero ; AJ fam. 2022. 353, obs. F. Eudier ; Dalloz IP/IT 2022. 352, obs. E. Nalbant ). Le président Pireyre l’avait d’ailleurs concédé : « Il est vrai qu’en usant du concept de "formalisme excessif" forgé par sa jurisprudence, la Cour européenne peut, par occurrences, opérer, en matière de droits procéduraux, un contrôle qui s’approche d’un contrôle in concreto » (Note relative au contrôle de proportionnalité pratiqué en matière de procédure civile par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, préc., p. 20).

En application du principe de subsidiarité, on pourrait donc s’attendre à voir la Cour de cassation procéder, elle aussi et en premier lieu, au contrôle de conventionalité in concreto des règles de procédure civile à travers la prohibition du formalisme excessif. Elle s’y refuse pourtant de propos délibéré, ce qui conduit finalement à une jurisprudence d’allure manichéenne : soit la règle de procédure considérée est jugée conventionnelle in abstracto et elle est alors pleinement appliquée quelle que soit la dureté de son application au cas concret (dura lex, sed lex) ; soit la règle de procédure considérée est jugée inconventionnelle, et généralement écartée, ou elle se trouve généralement reconfigurée par l’interprétation conforme qui en est faite et elle est alors rien moins que réécrite par le juge de cassation, qui trempe alors sa plume dans l’encre conventionnelle. En tout cas, il n’y a pas d’entredeux ; il n’y a pas de neutralisation d’une sanction au regard de sa sévérité d’application in concreto. Le formalisme est excessif ou acceptable in abstracto ; il n’est jamais excessif ou acceptable in concreto.

C’est en cela que le présent arrêt détonne. En soi, la motivation n’est pas particulièrement originale ni remarquable. Au fond, la Cour de cassation rappelle simplement qu’en matière d’enlèvement international d’enfants, la vigilance doit se porter sur le fond plutôt que sur la forme ; ce d’autant que la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants repose sur la coopération interétatique et la coordination supranationale, avec cette idée que les États parties doivent œuvrer conjointement à sa mise en œuvre diligente (§§ 13 à 17). C’est en revanche la forme de la conclusion qui interpelle :

Fait preuve d’un formalisme excessif la cour d’appel qui fait « prévaloir, dans la procédure de retour immédiat engagée sur le fondement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, le principe de l’obligation, pour l’appelant, de signifier sa déclaration d’appel à tous les intimés y compris le procureur général » à peine de caducité totale de la déclaration d’appel, « alors même qu’elle avait constaté que le procureur général avait conclu devant elle et que la déclaration d’appel avait été signifiée » à l’autre intimé (§ 19).

En substance, la Cour de cassation reproche à la cour d’appel de ne pas avoir écarté la sanction de caducité de la déclaration d’appel, non pas compte tenu d’un formalisme excessif in abstracto mais compte tenu d’un excès de formalisme in concreto. Dit autrement, la deuxième chambre civile reproche au juge d’appel d’avoir manqué de mesure en l’occurrence concrète. C’est d’autant moins douteux que la deuxième chambre n’énonce aucun conclusif général au moyen duquel elle indiquerait que, désormais, en règle générale, la sanction de caducité est neutralisée au cas de la signification de la déclaration d’appel au parquet général dans le contexte de l’enlèvement international d’enfants. Non pas : elle indique simplement qu’en l’occurrence, au cas concret, la cour d’appel, faisant application mécanique de la sanction de caducité, a fait preuve d’un formalisme excessif. La résistance au contrôle de conventionalité in concreto des règles de procédure civile s’effrite donc.

Les plus fins observateurs auront déjà noté que l’effritement a commencé ailleurs, à la première chambre civile exactement (Civ. 1re, 5 avr. 2023, n° 22-21.863, D. 2023. 686 ; sur lequel, v. not., C. Bléry, Condamnation du formalisme excessif : la Cour de cassation dans les pas de la CEDH, Dalloz actualité, 20 avr. 2023, qui exprime de légitimes inquiétudes). Dans cette précédente affaire et pour s’en tenir à l’essentiel, le parquet général se trouvait en position d’appelant principal. Sur son appel principal s’était greffé l’appel incident de l’un des parents de l’enfant déplacé. Hélas pour lui, le parquet général méconnut l’article 930-1 du code de procédure civile, entraînant l’irrecevabilité de son appel principal… ce qui eut pour effet collatéral dramatique de faire tomber du même coup l’appel incident du parent, qui n’avait par ailleurs pas relevé appel principal. La cour d’appel suivit ce raisonnement, faisant une application rigoureuse des règles de procédure civile applicables. Son arrêt fut néanmoins cassé : la première chambre civile lui reprochera son excès de formalisme, tout en insistant bien – et subtilement – sur le fait que l’erreur procédurale procédait du ministère public et non de l’appelant incident. Le ver était néanmoins dans le fruit : c’est là un contrôle de conventionalité in concreto qui ne dit pas son nom.

Au moyen du présent arrêt, la deuxième chambre civile emboîte le pas à la première. En vérité, elle la dépasse même car dans l’affaire soumise à la première chambre civile, l’erreur procédurale était le fait du ministère public et ce n’est que par l’enchaînement des sanctions – une sorte de glissement de terrain procédural – que le parent appelant incident s’était trouvé atteint. L’arrêt de la première chambre civile venant au secours du parent litigant était dès lors digne d’une pleine approbation, en accord avec un sentiment d’équité élémentaire, croyons-nous. Mais ici, la deuxième chambre civile va plus loin car l’erreur procédurale n’est plus le fait du ministère public mais du parent appelant qui a manqué de signifier la déclaration d’appel ; elle n’en prend pas moins sa défense en se livrant à un contrôle de conventionalité in concreto qui, là encore, ne dit pas son nom.

En somme, la résistance au contrôle de conventionalité in concreto des règles de procédure civile s’effrite doucement mais sûrement. C’est qu’au fond, rien ne justifie fermement de refuser dogmatiquement de conduire le contrôle de conventionalité in concreto à l’endroit des règles de procédure civile : on peut certes réprouver le principe même du contrôle de conventionalité in concreto en le soupçonnant de camoufler un contrôle en équité ; en revanche, si l’on adhère à son principe ou s’y résigne, on voit mal ce qui justifierait que la règle de procédure civile en soit totalement exemptée.

 

Civ. 2e, 23 mai 2024, FS-B, n° 22-11.175

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