Vers une réécriture de la définition pénale du viol
La question de la définition du viol est au cœur d’une initiative parlementaire. Deux députées de la délégation aux droits des femmes ont présenté hier un rapport et une proposition de loi pour réécrire entièrement l’infraction et y mettre au cœur la notion de « non-consentement ». Un ajout qui fait débat.
Le rapport des députées Véronique Riotton (Renaissance) et Marie-Charlotte Garin (Écologiste) est l’aboutissement d’un long travail. Un an d’auditions aura été nécessaire, interrompu notamment par la dissolution. Les deux députées préconisent de réécrire les incriminations de viol et d’agression sexuelle. Elles ont pour cela présenté une proposition de loi qui modifie le code pénal.
Une nouvelle définition du viol
Actuellement, l’agression sexuelle est principalement définie comme une « atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ». Le viol est une agression sexuelle avec pénétration. Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin proposent de modifier l’article 222-22 du code pénal pour que l’agression sexuelle soit définie comme une « atteinte sexuelle non consentie ».
Un alinéa additionnel précisera que le consentement suppose qu’il ait été « donné librement ». « Il est spécifique et peut être retiré avant ou pendant l’acte à caractère sexuel. Il est apprécié au regard des circonstances environnantes. Il ne peut être déduit du silence ou de l’absence de résistance de la personne. Il n’y a pas consentement si l’acte à caractère sexuel est commis notamment avec violence, contrainte, menace ou surprise ». L’absence de consentement pourra être déduite de « l’exploitation d’un état ou d’une situation de vulnérabilité ».
Le retour du consentement
La question du consentement figurait dans l’ancienne définition jurisprudentielle sur le viol. En 1857, la Cour de cassation définissait le viol comme « le fait d’abuser d’une personne contre sa volonté, soit que le défaut de consentement résulte de la violence physique ou morale exercée à son égard, soit qu’il résulte de tout autre moyen de contrainte ou de surprise pour atteindre, en dehors de la volonté de la victime, le but que se propose l’auteur de l’action » (arrêt Dubas). La loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980, inscrivant une définition légale du viol, avait au contraire fait le choix d’exclure cette notion de consentement pour se centrer exclusivement sur le modus operandi de l’auteur, à savoir la violence, la contrainte et la surprise.
La loi n’a depuis cessé depuis d’être étendue, pour y inclure les menaces et multiplier les circonstances aggravantes. Toutefois, le rapport note que certaines de ces circonstances aggravantes auraient davantage leur place comme élément constitutif. Car, si ces éléments sont reconnus comme circonstances aggravantes, ils ne peuvent être utilisés pour qualifier l’infraction. C’est notamment le cas de la qualité de la victime de « personne vulnérable, y compris pour raisons économiques » ou lorsque l’auteur abuse « de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ». Il est à noter que la nouvelle rédaction proposée ne règle pas cette confusion entre élément constitutif et circonstance aggravante.
Pour Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin, la rédaction actuelle est insuffisante. Si la notion de surprise permet de couvrir les cas où la victime était dans un état de semi-conscience (alcool, stupéfiants, endormie), ce n’est pas le cas de la sidération. « Le consentement est d’ores et déjà au cœur du débat judiciaire, alors même qu’il n’est pas un des éléments constitutifs de l’infraction pénale de viol ».
Pour les députées, une telle évolution législative mettrait fin aux « discussions sur l’existence d’un consentement en présence de violence, menace, contrainte, surprise, ce qui n’est pas le cas actuellement. Cela permettrait au juge d’instruction de mettre en examen, par la réunion plus facile d’indices graves ou concordants, et de sortir de l’impasse du "parole contre parole" qui se retourne contre la victime ». Le juge serait amené à demander au mis en cause « la façon dont il s’est assuré du consentement de la victime, » en le confrontant aux éléments du dossier.
Toutefois, « l’élément intentionnel est un principe fondamental de notre droit pénal auquel la nouvelle définition pénale du viol ne dérogera pas ». Mais, « l’intentionnalité pourra découler du fait de ne pas avoir pris soin de vérifier le consentement de la personne ».
Un crime mal traité par notre justice
Le reste du rapport est sévère sur l’incapacité de notre droit à juger les viols. Les députées notent le nombre « anormalement élevé » des classements sans suite et de non-lieux, la persistance du phénomène de correctionnalisation, et le caractère aléatoire et hétérogène de la réponse pénale qui nourrissent un climat d’impunité. Hors cadre familiale, huit victimes sur dix ne portent pas plainte. Les services de sécurité ont enregistré près de 114 000 victimes de violences sexuelles en 2023, parmi lesquels 26 816 victimes de viol. Le nombre de viols recensés par les services a quasiment triplé depuis 2015. 73 % des plaintes pour violences sexuelles étaient classées sans suite en 2018. Et le reste de la chaîne pénale criminelle est embolisé (Dalloz actualité, 17 janv. 2025, obs. P. Januel).
La procédure judiciaire reste une épreuve pour les victimes. Si « des progrès considérables ont été faits par les forces de l’ordre », les interrogatoires peuvent être douloureux. Comme l’a reconnu. Olivier Christen, directeur des affaires criminelles et des grâces, la primo-audition peut durer près de quatre heures : « Les descriptions demandées pourront lui paraître crues, sans fard, d’un luxe de détails attentatoires pour un champ relevant normalement de l’intime. La violence de l’audition se surajoute ainsi parfois à celle des faits eux-mêmes ». Pour les députées, la focalisation des investigations sur la victime résulte en partie de la rédaction de notre texte pénal. « Ce n’est donc pas à l’auteur de préciser de quelle manière il s’est assuré du consentement de la victime mais à celle-ci de faire savoir comment elle a manifesté son refus au mis en cause ».
Le changement de loi ne fait pas l’unanimité y compris chez les associations féministes (Dalloz actualité, 22 mars 2024, obs. P. Januel). Si Emmanuel Macron en soutient le principe, la Chancellerie est pour l’instant restée prudente. Modifier la loi pénale n’est jamais sans risque comme l’a montré le précédent de la loi espagnole de 2022 sur le consentement. La fusion d’infractions a abouti à 1 233 réductions de peine accordées à des délinquants sexuels.
L’examen à l’Assemblée de la proposition de loi Riotton-Garin devrait avoir lieu d’ici début avril. Le Conseil d’État sera saisi en amont sur le texte.
Rapport d’information sur la définition pénale du viol, 21 janv. 2025
© Lefebvre Dalloz