Viol et consentement : les députés s’alignent sur le Conseil d’État

La commission des lois de l’Assemblée étudiait mercredi la proposition de loi transpartisane visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles. À l’initiative des deux rapporteures, les députés ont adopté la loi, tout en atténuant sa portée pour s’aligner sur le récent avis du Conseil d’État.

Depuis plusieurs mois, le débat sur la modification de la définition pénal du viol, afin d’y introduire la notion de non-consentement, est vif (Dalloz actualité, 22 mars 2024, obs. P. Januel ). Cette réforme, soutenue par le président de la République, divise féministes comme pénalistes.

À travers la mission des députées Véronique Riotton (Ensemble) et Marie-Charlotte Garin (Écolo), la délégation des droits des femmes a souhaité avancer sur le sujet. Leur rapport est un plaidoyer en faveur du changement de la loi (Dalloz actualité, 22 janv. 2025, obs. P. Januel). L’incrimination d’agression sexuelle et de viol devra d’abord se baser sur le non-respect du consentement de la victime, plutôt qu’un acte de l’auteur, imposé par la « violence, la menace, la contrainte ou la surprise ».

Pour autant, le rapport ne répond pas à toutes les critiques et toutes les craintes. D’abord, pour une partie des féministe, le viol est d’abord un acte de l’agresseur, plus qu’un défaut de consentement de la victime. De plus, l’intérêt de cette modification pour obtenir de nouvelles condamnations apparaît limité, la Cour de cassation ayant déjà une vision large des notions de contrainte et de surprise, reconnaissant, par exemple, l’état de sidération.

Ensuite, une mauvaise rédaction en la matière peut aboutir à un fiasco judiciaire : la loi sur le consentement espagnol ou la réforme censuré du harcèlement sexuel en sont deux douloureux exemples. Enfin, les problèmes de la justice à juger des viols viennent d’abord d’une saturation de la chaîne pénale. Notre justice ne s’est pas adaptée à Metoo et à son impact sur les plaintes déposées (Dalloz actualité, 17 janv. 2025, obs. P. Januel).

Le suivi de l’avis du Conseil d’État

Pour sécuriser leur texte, les deux députées ont saisi le Conseil d’État sur leur proposition de loi. Dans son avis, le Conseil soutient la réforme mais recommande la prudence, quitte à amoindrir la portée du texte. Les députés l’ont strictement suivi par les amendements adoptés en commission.

D’abord, le Conseil d’État estime que la « définition actuelle de l’agression sexuelle telle que mise en œuvre par la jurisprudence satisfait aux exigences de la convention d’Istanbul ». Le non-respect de cette convention, qui demande à ce que soient pénalisés les actes de pénétration à caractère sexuel « non consentis », était pourtant l’un des arguments pour changer notre législation.

Pour le Conseil d’État, la proposition Riotton-Garin aura comme principal apport de « consolider par des dispositions expresses et générales, les avancées de la jurisprudence ». Car les évolutions jurisprudentielles ont déjà « conféré une large portée aux notions de contrainte ou surprise ». L’avis rappelle que la justice devra toujours apporter « l’élément intentionnel de l’infraction, c’est-à-dire la conscience chez le mis en cause d’avoir agi à l’encontre ou en l’absence du consentement de la personne ». Le Conseil d’État considère que « la rédaction proposée n’invite nullement à rechercher un consentement explicite et formalisé », et que « c’est chez l’auteur des faits qu’il faut rechercher s’il s’est assuré du consentement de l’autre ».

Cette modification « n’augmentera probablement pas » le taux de condamnation, mais aura « l’avantage de centrer le débat judiciaire, et donc l’écho qu’il peut avoir dans la société, sur cette réalité que le viol, comme les autres agressions sexuelles, est avant tout, un viol du consentement ». La portée de ce texte sera donc essentiellement interprétative, et pourra s’appliquer aux situations en cours.

Un soutien large

La version initiale du texte Riotton-Garin proposait d’inscrire dans la loi qu’« il n’y a pas de consentement si l’acte à caractère sexuel est commis notamment avec violence, contrainte, menace ou surprise ». Le Conseil d’État a recommandé de supprimer l’adverbe « notamment », afin que la liste ne soit pas indéterminée. Le retrait du terme limite l’élargissement éventuelle de la liste à d’autres actes constitutifs du non-consentement mais il permet de sécuriser le texte.

La définition retenue par les députés considère qu’est une agression sexuelle « tout acte sexuel non consenti commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur ». Le consentement devra être « libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable ». Il sera « apprécié au regard des circonstances environnantes » sans pouvoir « être déduit du seul silence ou de la seule absence de réaction de la victime ». Surtout, il n’y aura « pas de consentement si l’acte à caractère sexuel est commis avec violence, contrainte, menace ou surprise, quelles que soient leurs natures ».

Enfin, l’article unique du texte prévoit que le viol sera une agression sexuelle commise avec un acte de pénétration, un acte bucco-génital et désormais également « un acte bucco-anal ».

Ce texte a une dimension politique et vise, selon les deux rapporteures, à « passer de la culture du viol à la culture du consentement ». La proposition de loi a été largement adoptée, même si plusieurs députés, notamment socialistes, ont émis des réserves sur le texte et sur la notion de non-consentement, qui pour la députée Céline Thiébault-Martinez (PS), reste une « notion instable », le viol restant « d’abord et avant tout le fruit d’un processus criminel de l’auteur ». Le débat en séance est prévu le 1er avril.

 

© Lefebvre Dalloz