Violences intrafamiliales : institution de pôles spécialisés au sein des tribunaux judiciaires et des cours d’appel
Le décret n° 2023-1077 du 23 novembre 2023, en vigueur au 1er janvier 2024, consacre l’existence d’un pôle spécialisé dans la lutte contre les violences intrafamiliales au sein des tribunaux judiciaires et des cours d’appel. Il institue des coordonnateurs référents au parquet et au siège, ainsi que des comités de pilotage associant acteurs juridictionnels et partenaires extérieurs.
« Le tribunal spécialisé est mort, vive le pôle spécialisé ! » : genèse du texte
L’idée d’un tribunal spécialisé de la famille ou des violences faites aux femmes avait émergé pendant la dernière campagne présidentielle d’Emmanuel Macron. Inspiré de l’exemple espagnol, plébiscité par les associations féministes qui y voyaient la reconnaissance opérationnelle de la spécificité des violences faites aux femmes et la traduction budgétaire et judiciaire de la grande cause du quinquennat pour le second mandat consécutif, le tribunal spécialisé a fait long feu. Le député Aurélien Pradié (LR) avait créé la surprise en déposant à l’automne 2022 une proposition de loi visant à créer une juridiction spécialisée. Le texte, critiqué pour son impréparation, rejeté en commission des lois, avait néanmoins été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale le 1er décembre 2022 contre l’avis du gouvernement, puis transmis au Sénat sans date d’inscription à l’ordre du jour depuis lors.
En réaction, la Première ministre a confié, en janvier 2023, une mission parlementaire à la députée Émilie Chandler (RE) et à la sénatrice Dominique Vérien (Modem), assistées d’une équipe d’inspecteurs de la justice, afin de plancher sur le sujet. Suivies de près par le ministère de la Justice et le ministère de l’Égalité entre les femmes et les hommes, la diversité et l’égalité des chances, les deux parlementaires ont auditionné plus de 300 personnes, experts praticiens, universitaires comme associations et justiciables, se sont déplacées dans des juridictions françaises considérées comme pilotes en la matière (not., Nantes, Brive-la-Gaillarde ou encore Châlons-en-Champagne) et ont examiné les expériences à l’étranger (Espagne bien sûr, Royaume-Uni ou encore États-Unis). Il en est ressorti le « Plan rouge vif », visant à améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales, remis aux deux ministres compétents début mai 2023. Le rapport, qui établit un état des lieux complet des politiques mises en œuvre sur le terrain, est ambitieux et comporte une série de 59 recommandations parmi lesquelles, celle, consensuelle et raisonnable, de créer, au sein des tribunaux judiciaires comme des cours d’appel de l’ensemble du territoire national, non pas des juridictions spécialisées, mais un pôle spécialisé mineurs/famille au sein des parquets, et une chambre spécialisée en violences intrafamiliales ou famille au sein des tribunaux judiciaires et des cours d’appel. Deux idées-forces sous-tendent le dispositif projeté par la mission : d’une part, la transversalité de cette nouvelle organisation, favorisée par l’instauration et l’encadrement juridique de comités de pilotage (COPIL) permettant le suivi des situations en agrégeant les compétences civiles (juge des enfants, juge des tutelles, juges aux affaires familiales) et pénales (parquet, chambre correctionnelle, service de l’application des peines…) ainsi que les partenaires clés (associations d’aide aux victimes, de contrôle judiciaire, services pénitentiaires d’insertion et de probation), d’autre part, une formation spécifique renforcée, tant au niveau initial que continu, de tous les professionnels intervenant dans le traitement judiciaire des violences intrafamiliales.
La consultation des organisations syndicales le 14 septembre 2023 par la Direction des services judiciaires a donné lieu à des réserves importantes des instances représentatives des magistrats, liées essentiellement à la question des moyens dévolus à ces pôles – la loi de programmation et d’orientation pour la Justice 2023/2027 adoptée à la rentrée ne comporte qu’une annexe relative aux pôles spécialisés, sans précision sur les moyens précis qui leur seraient dévolus parmi les recrutements supplémentaires annoncés –, ou au rôle précis des coordonnateurs de pôles tant au siège qu’au parquet, aucune décharge de fonction n’étant prévue pour leur permettre d’exercer cette mission supplémentaire chronophage, et l’ordre du jour des COPIL ne relevant pas d’eux mais des chefs de juridiction. L’avis consultatif du Conseil d’État n’a pas été rendu public par le gouvernement, ne permettant pas d’analyser ici le regard des sages de la rue de Montpensier sur ces dispositions.
Malgré le choix symbolique par le ministère de la Justice d’un véhicule à valeur normative – un décret en Conseil d’État, après pas moins de dix-neuf circulaires en la matière depuis mai 2019, il en résulte un décret volontairement minimaliste, assez éloigné des ambitions politiques affichées et des recommandations des parlementaires, dans un souci affiché de laisser la plus grande liberté d’organisation aux chefs de juridiction dans la mise en œuvre de ces dispositions qui, à l’analyse, ne relevaient pas strictement du décret et encore moins du décret en Conseil d’État.
Un changement de vocabulaire : l’extension du concept de « pôle » et la mutation des « référents VIF » en « coordonnateurs »
La nouvelle notion de pôles
Le décret instaure un changement de vocabulaire qui n’est pas que cosmétique.
Ainsi, le concept de « pôle », historiquement propre à l’organisation des parquets (les pôles spécialisés en matière de santé publique ou, plus récemment, de haine en ligne) regroupe désormais, dans la section 7 du chapitre II du titre Ier du livre II de la partie règlementaire du code de l’organisation judiciaire, ceux de « chambres et services », à l’article R. 212-62. Il est ainsi prévu que dorénavant « Dans chaque tribunal judiciaire est institué un pôle spécialisé en matière de violences intrafamiliales, composé de magistrats du siège et du parquet appelés à connaître de faits de violences intrafamiliales, ainsi que de directeurs des services de greffe judiciaires, de greffiers, de juristes assistants et d’agents contractuels de catégorie A » (COJ, nouv. art. R. 212-62-1). Le pôle absorbe ainsi les services du siège. Si l’on comprend que la transversalité est recherchée, la symbolique risque fort de ne pas plaire aux magistrats du siège, en faisant fi d’un point important : le parquet est auprès de la juridiction, et on ne peut mettre au même niveau (malgré l’erreur du charpentier) le parquet et le siège en raison de l’indépendance statutaire et propre de ce dernier. On peut regretter que la chambre spécialisée préconisée par les parlementaires n’ait pas été conservée. Elle n’ôtait rien à la synergie recherchée dans la transmission d’information et les circuits propres à ce contentieux.
En revanche, on peut souligner l’inscription dans le marbre réglementaire de « l’équipe autour du magistrat » devenue indispensable à l’aune des nouvelles exigences pesant sur les juridictions, permettant ainsi aux magistrats de se recentrer sur les tâches proprement juridictionnelles, analyser et requérir ou juger en connaissance de cause, sans s’éparpiller dans la recherche d’informations dans de multiples services. Les juristes assistants et agents contractuels se voient ainsi officiellement reconnus comme membres à part entière des nouveaux pôles, ce qui permet une continuité des missions déjà expérimentées avec succès dans le cadre de la « justice de proximité » et valorise à juste titre leur apport au bon fonctionnement des services.
Des « coordonnateurs » en lieu et place des « référents »
Dans le même esprit, les anciens « référents violences intrafamiliales (VIF) » deviennent « coordonnateurs », respectivement au parquet et au siège, ce qui ne change pas fondamentalement l’essence de leurs missions, sauf peut-être, ce que l’on peut regretter, en diminuant les capacités d’initiative développés sur le terrain depuis le Grenelle. Ils sont désignés respectivement par les chefs de juridiction, après avis respectif des deux assemblées générales du siège et du parquet et il est mis fin dans les mêmes formes à leur mission. Cela donne davantage de solennité à la désignation, même si en pratique, cela ne devrait pas modifier ce qui se fait déjà, à savoir le volontariat au siège et la désignation au parquet, l’avis des assemblées étant purement consultatif. Ce dernier permettra sans doute une meilleure identification des coordonnateurs par l’ensemble des services de la juridiction.
S’agissant de leurs missions, elles sont définies ainsi : les magistrats coordonnateurs « concourent, chacun pour ce qui le concerne, en concertation avec les autres membres du pôle, à l’élaboration, à la mise en œuvre, au suivi et à l’évaluation des mesures et actions en matière de violences intrafamiliales. Ils participent, en lien avec le coordonnateur régional de formation, à la définition d’actions de formation continue déconcentrée adaptées aux besoins des membres du pôle. Ils veillent au partage, au sein du pôle, des informations nécessaires à l’exercice de ses missions, dans le respect des dispositions du code de procédure pénale » (COJ, art. R. 212-62-1). Ces dispositions reprennent l’existant sur le terrain, officialisant ainsi l’apport des « bonnes pratiques » développées en juridiction et valorisées par le ministère de la Justice. Il est néanmoins surprenant qu’il n’ait pas été rappelé que l’élaboration et la mise en œuvre des mesures et actions en matière de violences intrafamiliales se décline ici au niveau local et s’inscrit en cohérence avec la politique pénale définie au plan national par le garde des Sceaux et précisément détaillée dans les nombreuses circulaires en la matière (v. supra). Par ailleurs, seul est mentionné le code de procédure pénale, qui en effet sanctionne le dévoilement non autorisé d’informations couvertes par le secret de l’enquête ou de l’instruction, sans faire référence au corpus civil, tout aussi concerné par le contentieux, qu’il s’agisse du code civil (ordonnance de protection, autorité parentale, intérêt supérieur de l’enfant, tutelles…) ou du code de l’action sociale et des familles en matière d’enfance protégée, la protection des enfants devant être au cœur de la politique de lutte contre les violences intrafamiliales. Cela semble dénoter une vision encore trop centrée sur le pénal, à l’heure où les progrès majeurs constatés sur le terrain s’appuient sur le décloisonnement des services et l’attention portée au rôle du juge aux affaires familiales et du juge des enfants en matière de protection des enfants co-victimes de violences conjugales et/ou victimes de violences intrafamiliales. Afin de remédier à cet écueil, les organisations syndicales avaient proposé qu’au siège, un magistrat coordonnateur soit désigné pour le pénal et un autre pour le civil, afin d’impliquer davantage ces derniers. Las, leur proposition n’a pas été retenue.
Tant le magistrat coordonnateur du siège (pour le civil et le pénal) que son homologue au parquet (pour les violences intrafamiliales) « veille à la mise en place des circuits de traitement appropriés par les services […] appelés à connaître de faits de violences intrafamiliales. Il adresse au [chef de juridiction] toutes propositions d’amélioration des dispositifs de prévention, détection, traitement, suivi et évaluation de faits de cette nature et de protection des victimes. » Le rôle des magistrats coordonnateurs est clairement défini mais quels sont leurs moyens d’action ? Malgré les préconisations formulées par les organisations syndicales en ce sens, aucune décharge de service n’est prévue pour ces magistrats sur lesquels pèseront des tâches s’ajoutant à leurs missions strictement juridictionnelles, notamment celle d’établir et de présenter un bilan « périodique » aux trois assemblées, les chefs de juridiction se voyant eux confier la mission de présenter l’activité du pôle une fois par an au conseil de juridiction. La question des moyens dévolus à ces pôles est cruciale pour leur mise en œuvre effective et leur efficacité, tant les tâches dévolues aux coordonnateurs, bien qu’assistés d’une équipe, sont multiples et chronophages. Le terme même de coordonnateur est celui employé pour les chefs de service, qui, eux, bénéficient – du moins en théorie – d’une décharge pour mener à bien leurs nombreuses missions d’organisation. La gestion du suivi de dispositifs comme le téléphone grave danger ou le bracelet anti-rapprochement (BAR) et la tenue régulière, plusieurs fois par an, de comités de pilotages mobilise énormément de temps pour les magistrats référents/coordonnateurs. Sans prendre en compte ces missions supplémentaires, le risque est grand de ne pas pouvoir mettre en œuvre de façon effective une politique de juridiction coordonnée.
Des dispositions miroir sont prévues pour les cours d’appel, encore très en retrait sur la mise en œuvre de politiques de juridiction dédiées aux violences intrafamiliales, à l’exception notable de la Cour d’appel de Versailles qui a initié un état des lieux des dossiers pendant et construit un projet de pôle spécialisé dès le printemps 2023, ou encore la Cour d’appel de Poitiers dont les chefs de cour ont dupliqué, à l’échelle du second degré, la politique de juridiction dynamique qu’ils avaient initiée sur le ressort du Val d’Oise, à l’origine de la première expérimentation du bracelet anti-rapprochement. Les circuits spécifiques mis en œuvre dans les juridictions du premier degré à l’occasion du déploiement du BAR et la généralisation des COPIL VIF n’avaient pas encore connu de succès au niveau des cours d’appel. Gageons que le décret constituera un déclic nécessaire pour que les efforts consentis par la première instance ne soient pas amoindris par l’état des stocks et le déficit de formation au niveau des cours d’appel, qui conduit notamment à un taux élevé d’infirmation d’ordonnances de protection.
Quelle formation spécifique pour les membres du pôle ?
Aucune précision n’est faite à cet égard par le décret : le rôle qui est dévolu aux coordonnateurs en matière de formation continue déconcentrée semble entrer en concurrence directe avec la compétence propre de l’École nationale de la magistrature, dont les attributions s’étendent pourtant à la formation continue déconcentrée au niveau des cours d’appel. Le coordonnateur régional de formation est certes mentionné, mais de manière assez accessoire, « en lien » avec les coordonnateurs. Cela peut s’expliquer par le fait qu’aucune mention n’est faite du (futur ?) contenu de la formation spécifique et renforcée nécessaire pour exercer au sein de ces pôles, mentionnée en fin d’article par la formule sibylline « Les coordonnateurs et les membres du pôle bénéficient d’une formation spécifique en matière de violences intrafamiliales. » Le renvoi à un arrêté fixant les modalités d’une telle formation (et son caractère préalable obligatoire) eût été le bienvenu, à l’heure où de nombreux magistrats traitent de ces dossiers sans formation autre que la formation initiale en la matière, et où le caractère facultatif et volontaire du choix des formations contribue à former des magistrats déjà sensibilisés et intéressés au contentieux, sans toucher ceux qui devraient être mieux formés. Gageons que l’École nationale de la magistrature prépare un programme de formation spécifique à la hauteur des ambitions politiques affichées et des attentes sur le terrain ! La création d’un cycle approfondi de formation en matière de violences intrafamiliales (le nouveau « CAVIF ») est un signal fort, mais le risque est grand de ne pas toucher assez largement les magistrats, en rappelant que nombre de dossiers sont jugés en comparution immédiate et échappent ainsi aux chambres spécialisées. À cette fin, les actions de formation organisées au niveau local, directement en juridiction, souvent à l’initiative des actuels magistrats référents du parquet, permettent non seulement de toucher plus facilement des collègues qui renoncent souvent à leur formation annuelle obligatoire faute de temps, mais aussi de décloisonner en ouvrant ces formations au greffe, aux avocats du barreau local, et aux partenaires institutionnels ou associatifs du ressort. L’ambition du « Plan rouge vif » était de mieux former l’ensemble des professionnels de première ligne en contact avec les victimes de violences intrafamiliales : pour ce faire, les formations de proximité apparaissent les mieux adaptées, permettant aux professionnels d’un même ressort de bâtir des relations de confiance et un cadre de référence identique, facilitant le dépistage des situations de danger et une meilleure orientation à chaque étape du long parcours des victimes et, partant, une meilleure protection.
La consécration de comités de pilotage VIF uniques : un progrès ?
L’existence de comités de pilotage en matière de violences intrafamiliales avait été encouragée par le biais de circulaires successives à l’occasion de la généralisation du bracelet anti-rapprochement en septembre 2021 et à la suite du féminicide de Mérignac, qui avait mis en lumière des dysfonctionnements dans la transmission de l’information relative aux situations de danger. Nombre de juridictions ont depuis lors mis en place des COPIL regroupant les acteurs ayant directement à connaître des situations individuelles, sous le sceau du secret partagé, et avec une fréquence suffisamment régulière pour garantir la pertinence et l’actualité des informations transmises. Il avait alors été fait une distinction claire entre, d’une part, les instances départementales à vocation partenariale, qui regroupaient l’ensemble des partenaires institutionnels et associatifs compétents sur le champ des violences intrafamiliales au niveau du département, co-animées par le procureur de la République et le préfet, à vocation programmatique sans examen de situation individuelle, et, d’autre part, les comités de pilotage internes aux juridictions, n’associant qu’un nombre limité de participants, ayant à connaître des situations individuelles judiciarisées dans le cadre de ses fonctions (enquêteurs, associations d’aide aux victimes, services pénitentiaires, associations de suivi socio-éducatif, magistrats des services concernés), et dont l’objectif était l’échange d’informations sensibles dans des situations de danger identifiées, sous le sceau du secret professionnel partagé.
Par exemple, au Tribunal judiciaire de Nantes, une vingtaine de situations est examinée chaque mois, les situations de danger étant signalées en amont par les participants, et regroupées dans un tableau analytique pour faciliter leur examen en réunion. Ce dispositif, lourd à mettre en œuvre mais extrêmement efficace, a été ensuite complété par une instance plus réduite se limitant à l’examen des situations des sortants de détention. Ces instances opérationnelles de partage d’information ont permis un meilleur traitement de dossiers concernant souvent plusieurs membres du comité, et d’éviter la déperdition d’informations sur des situations évolutives et parfois très dégradées. Le parquet est naturellement au cœur du dispositif puisqu’en mesure de transmettre et de traiter à son niveau l’ensemble des informations pertinentes pour ordonner une enquête ou des investigations complémentaires, signaler une nouvelle procédure au juge des enfants saisi de la situation d’enfants co-victimes, prendre des réquisitions auprès du juge d’application des peines ou solliciter une révocation de contrôle judiciaire en cas d’incident…
Le présent décret semble opérer une fusion des deux instances, ce qui se déduit des dispositions suivantes :
- la fréquence minimale fixée à une réunion annuelle, qui correspond aux besoins d’une instance de concertation mais pas d’un comité opérationnel sur des situations de danger très évolutives ; la précision « aussi souvent que nécessaire » vient tempérer cette difficulté mais si l’objectif est que chaque membre du COPIL, dans la mesure de ses compétences et dans l’affaire dont il est saisi, puisse agir de manière pertinente grâce aux informations partagées dans les situations les plus délicates, la fréquence mensuelle apparaît bien plus adaptée ; c’est d’ailleurs ce qui se pratique sur le terrain.
- l’ordre du jour arrêté conjointement par les chefs de juridiction, ce qui, là aussi, paraît peu adapté à une instance très opérationnelle qui a pour but d’examiner une liste de situations individuelles fixée par les suggestions des membres du COPIL eux-mêmes et en général consolidée par le parquet qui dispose des informations les plus spécialisées. Une délégation des chefs de juridiction aux coordonnateurs référents permettra néanmoins de conserver une organisation souple et pragmatique, sans préjudice de l’ordre du jour thématique réservé aux échanges partenariaux.
- la liste des missions assignées au nouveau COPIL :
« 1° définir les actions coordonnées à mettre en œuvre pour concourir à la lutte contre les violences intrafamiliales ;
2° piloter la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation des dispositifs de lutte contre les violences intrafamiliales ;
3° contribuer à déterminer les moyens à mettre en œuvre pour le traitement des procédures judiciaires de violences intrafamiliales ;
4° faire toutes propositions visant à l’amélioration du traitement des violences intrafamiliales ;
5° partager les informations nécessaires à l’exercice de ses missions, dans le respect des dispositions du code de procédure pénale. »
La définition des actions coordonnées à mettre en œuvre pour concourir à la lutte contre les violences intrafamiliales relève de manière naturelle de l’instance partenariale de concertation, qui a une vocation programmatique et associe l’ensemble des acteurs impliqués au niveau du ressort de la cour ou du tribunal judiciaire concerné, afin de décliner au niveau local la politique fixée au niveau national (schéma local d’aide aux victimes, places d’hébergement pour les auteurs, etc…).
Le pilotage de la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation des dispositifs relèvent là aussi d’une action concertée, en général sous la co-impulsion du procureur de la République et du préfet au niveau de la première instance, du parquet général et du préfet de région au niveau de la cour d’appel, avec une précaution supplémentaire s’agissant de l’évaluation des dispositifs judiciaires qui ne relève que des autorités judiciaires ou le cas échéant de l’inspection des services judiciaires.
La détermination des moyens à mettre en œuvre pour le traitement des procédures judiciaires ne relève quant à elle que de la stricte sphère judiciaire, et nullement de l’instance partenariale. Le garant de la déclinaison de la politique pénale définie par le ministre de la Justice est le procureur de la République en première instance, et le procureur général auprès de la cour d’appel, et il en rend compte dans son rapport annuel au garde des Sceaux.
La mission relative aux propositions d’amélioration du traitement des violences intrafamiliales semble relever des nouveaux magistrats coordonnateurs qui les adressent à leurs chefs de juridiction respectifs. Ils peuvent ainsi se faire le relais des difficultés ou des bonnes pratiques évoquées lors des comités de pilotage.
Enfin, le partage d’informations nécessaires à l’exercice de ses missions par le COPIL ne saurait comprendre des informations à caractère individuel hors du champ du COPIL judiciaire à vocation opérationnelle dont les membres participants ne peuvent qu’être les professionnels amenés à en connaître directement. À cet égard, l’énumération non exhaustive des membres du COPIL doit inciter à la plus grande prudence sur le format des réunions et sur la nature des informations échangées.
- la liste énumérative des membres du COPIL : les membres du pôle en sont membres de droit, et il est précisé que les chefs de juridiction peuvent y convier, « en fonction de l’ordre du jour, notamment » :
« 1° des représentants de l’administration pénitentiaire ou de la protection judiciaire de la jeunesse ;
2° des représentants des services de l’État ;
3° des représentants des collectivités territoriales ;
4° des collaborateurs occasionnels du service public de la Justice ;
5° le bâtonnier de l’ordre des avocats du ressort ou son représentant, le président de la chambre départementale des commissaires de justice ou son représentant, le président de la chambre départementale des notaires ou son représentant ;
6° des représentants d’associations dont l’activité est en liens avec la lutte contre les violences intrafamiliales. »
Cette liste, qui se veut non exhaustive, ne concerne là encore que l’instance partenariale et non le COPIL judiciaire qui, outre les membres du pôle, comprend en pratique le ou les représentants des services pénitentiaires d’insertion et de probation, les associations d’aide aux victimes et les associations de suivi socio-éducatifs ayant à connaître des situations individuelles judiciarisées, et davantage que la protection judiciaire de la jeunesse (qui n’a compétence que pour les mineurs auteurs d’infractions, dans le champ pénal), il y a davantage lieu de prévoir que des représentants des services de l’aide sociale à l’enfance ayant à connaître de la situation d’enfants suivis en assistance éducative ou confiés au département dans le cadre d’un placement puissent être associés lorsqu’une situation le requiert.
Il pourrait donc être envisagé un format plénier, réuni à l’initiative des chefs de juridiction et coprésidé avec le préfet, une fois par an, et associant l’ensemble des acteurs locaux intéressés par la question des violences intrafamiliales, ce qui permettrait en outre de convier des partenaires désormais incontournables comme les caisses d’allocation familiales en charge de la délivrance de l’aide universelle d’urgence à destination des victimes de violences, entrée en vigueur depuis le 1er décembre 2023 en application de la loi du 16 février 2023, mais également de l’expérimentation du « Pack nouveau départ » dans cinq départements, avec une généralisation prévue début 2025. Cette réunion plénière permettrait d’élaborer la stratégie locale au soutien du traitement judiciaire du contentieux (places d’hébergement d’urgence, circuits de transmission entre les acteurs, schéma local d’aide aux victimes, centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales, parcours de traitement des addictions et accès aux soins psychiatriques et psychologiques, mesures d’accompagnement protégé et espaces rencontres médiatisés…). L’ordre du jour serait élaboré par les chefs de juridiction, en lien avec leurs coordonnateurs et en concertation avec l’autorité administrative. Cette réunion serait l’occasion de présenter le bilan annuel d’action et d’envisager des pistes d’amélioration suggérées par le fonctionnement du COPIL opérationnel.
Le COPIL judiciaire serait lui uniquement composé des membres actifs et de droit ayant à connaître des situations individuelles judiciarisées dans le cadre de leurs fonctions et se réunirait au moins une fois par mois, et autant que de besoin. La composition serait strictement limitée aux acteurs judiciaires et leurs partenaires directs, et le secret partagé pourrait faire l’objet d’une charte signée par chacun sur les conditions d’accès aux informations et de leur traitement, dans le strict respect des compétences de chacun. Ce COPIL, tel qu’il existe au sein des tribunaux judiciaires, doit absolument être maintenu dans sa forme actuelle pour traiter dans l’urgence les situations de danger et garantir la circulation de l’information entre les acteurs concernés directement par la situation dans une optique de meilleure protection des victimes. L’actualité récente nous invite à cet égard à davantage de prise en compte de la situation des enfants co-victimes de violences conjugales, ce qui rend indispensable la participation des juges des enfants et des juges aux affaires familiales à ces réunions opérationnelles, ainsi que celles, lorsque l’ordre du jour s’y prête, des associations en charges des rencontres médiatisées ou des acteurs de l’aide sociale à l’enfance le cas échéant. Il serait également intéressant que de tels copil puissent se réunir, dans un format idoine, au niveau des cours d’appel, qui ont à connaître de ces situations de danger en cause d’appel sur des décisions relatives à des requêtes en ordonnances de protection ou encore sur des décisions relatives aux droits de visite et d’hébergement ou en assistance éducative, ce qui permettrait certainement d’améliorer les délais d’audiencement et de favoriser la formation commune des membres du COPIL en matière de violences intrafamiliales.
© Lefebvre Dalloz