Violences urbaines : objectif réparation des équipements publics et des bâtiments endommagés ou détruits
Le gouvernement adopte par ordonnance trois mesures assouplissant temporairement les règles de passation des marchés publics afin d'accélérer la conduite des travaux et rappelle les règles mobilisables en cas de dégradations sur les chantiers de travaux en cours.
Les violences urbaines qui se sont déroulées du 27 juin au 5 juillet 2023 ont causé de nombreux dégâts dans plus de 500 communes notamment sur le bâti public (mairies, postes de police, écoles, bibliothèques, etc…) et sur des chantiers en cours. Pour assurer la continuité des services publics, le gouvernement a souhaité accélérer au maximum la reprise et la conduite des travaux.
Au lendemain de l'entrée en vigueur de la loi d'habilitation du 25 juillet 2023 le gouvernement a publié une première ordonnance du 26 juillet 2023 précisant les dérogations temporaires aux règles de la commande publique mises en place pour accélérer la réfection ou la reconstruction des équipements publics ou des bâtiments touchés. Deux autres suivront : l’une relative aux autorisations et aux règles d’urbanisme et l’autre au financement des projets. Par ailleurs, le ministère de l’économie a publié sur son site une fiche technique consacrée cette fois aux conséquences juridiques des dégradations survenues sur les marchés publics de travaux en cours lors de cet épisode de violences urbaines.
Des dérogations temporaires au code de la commande publique pour accélérer la passation des marchés
Le dispositif mis en place par l’ordonnance du 26 juillet repose sur trois mesures : possibilité de recourir à des marchés négociés de travaux sans publicité mais avec mise en concurrence sous un seuil fixé à 1,5 million d’euros, mise en place d’une dérogation au principe d’allotissement obligatoire et création d’un nouveau cas de recours à la conception-réalisation sans conditions particulières.
Des mesures strictement encadrées pouvant être mises en œuvre pendant 9 mois
Les mesures dérogatoires prévues par l’ordonnance peuvent être mises en œuvre par tous les acheteurs soumis au code de la commande publique dès lors que les marchés en cause sont nécessaires à la reconstruction ou à la réfection des équipements publics et des bâtiments affectés par des dégradations ou destructions liées aux troubles à l’ordre et à la sécurité publics survenus entre le 27 juin et le 5 juillet 2023.
Ces mesures sont temporaires. Elles ne peuvent être mises en œuvre que pour la passation de marchés pour lesquels une consultation est engagée ou un avis de publicité est envoyé à la publication à compter de l’entrée en vigueur de la loi, soit le 28 juillet 2023, et, pour une durée de 9 mois à compter de cette date, soit jusqu’au 28 avril 2024 inclus.
Possibilité de négocier les marchés de travaux inférieurs à 1 500 000 € HT sans publicité mais avec une mise en concurrence
Lorsqu’ils souhaitent passer un marché public de travaux destiné à réparer les dégâts causés aux équipements publics et aux bâtiments par cet épisode de violence urbaine, les acheteurs pourront recourir à une procédure négociée sans publicité avec mise en concurrence préalable dès lors que le marché répond à un besoin dont la valeur estimée est inférieure à 1,5 million d’euros hors taxe.
Cette mesure est également applicable aux lots dont le montant est inférieur à 1 million d’euros hors taxe, à la condition que le montant cumulé de ces lots n’excède pas 20 % de la valeur totale estimée de tous les lots.
Pour faire face aux dégradations, d’autres procédures peuvent être mobilisées. Ainsi, dans une circulaire du 5 juillet 2023, la première ministre indique qu’il est possible de s’affranchir des règles de publicité et de mise en concurrence préalable en cas d’urgence impérieuse. Si les conditions de l’urgence impérieuse ne sont pas réunies, il est possible de passer de gré à gré les marchés de travaux inférieurs à 100 000 € HT ou les petits lots inférieurs à 100 000 € HT et à 20 % de la valeur totale du marché. La nouvelle procédure temporaire a pour vertu de dispenser l’acheteur de publicité préalable dans les cas où il n’y a pas d’urgence impérieuse et où la valeur estimée du besoin est comprise entre 100 000 et 1 499 9 999,00 € HT.
Concrètement, dans la fiche qu’il consacre à l’ordonnance, le ministère de l’économie indique que la mise en concurrence en question peut se résumer, dans un souci de célérité, à se rapprocher d’au minimum deux opérateurs économiques. Elle devra être organisée de manière à garantir le respect des principes fondamentaux de la commande publique, notamment l’égalité de traitement des candidats mais aussi l’exigence constitutionnelle de bon usage des deniers publics.
Les acheteurs qui auront recours à cette procédure dérogatoire devront veiller à conserver tout document permettant de démontrer que son usage était justifié au regard des conditions prévues par l’ordonnance et que la mise en concurrence des entreprises a été effectuée de manière régulière. Par ailleurs, le ministère précise que cela ne les dispense pas de leurs obligations au titre de la publication des données essentielles des marchés publics en application de l’article L 2196-2 du code de la commande publique.
Possibilité de ne pas allotir le marché
Quel que soit leur montant, les marchés nécessaires à la reconstruction ou à la réfection des équipements publics et des bâtiments peuvent faire l’objet d’un marché unique sans qu’aucune justification ne soit nécessaire ni en droit ni en fait.
Cette dérogation aux règles de l’allotissement posées par les articles L 2113-10 et L 2113-11 du code de la commande publique a vocation à simplifier la passation des marchés puisque l’acheteur n’a pas à démontrer qu’il se trouve dans l’une des situations permettant en temps normal de déroger à l’allotissement obligatoire. Devraient s’ensuivre des gains en termes de temps et de coûts.
Pour le ministère de l’économie, un tel assouplissement donne la possibilité aux acheteurs public de passer, par exemple, un seul marché de travaux pour le terrassement, les travaux d’enrobés, le marquage et la signalisation lorsqu’il s’agit de réparer ou de rénover la voirie. Idem lorsque le marché a pour objet la réfection d’un bâtiment nécessitant des travaux de maçonnerie, d’électricité, de plomberie, de charpente, de peinture, de revêtement de sols, de menuiserie, etc.
Possibilité de conclure un marché de conception-réalisation sans condition et quel que soit le montant du marché
Les acheteurs publics sont autorisés à passer des marchés de conception-réalisation quel que soit le montant estimé des travaux sans être tenus de démontrer qu’ils se trouvent dans une des situations prévues à l’article L. 2171-2 du code de la commande publique permettant de déroger au principe de séparation entre les missions de maîtrise d’œuvre et l’exécution des travaux issu de l’article L 2431-1 du code de la commande publique.
Comme il l’indique dans la fiche qu’il consacre à cette ordonnance, le ministère précise que la seule condition à respecter est que le marché doit porter sur des équipements publics ou des bâtiments affectés par des dégradations ou des destructions liées aux violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023.
L’acheteur demeure cependant tenu d’identifier une équipe de maîtrise d’œuvre conformément à l’article L 2171-7 du code de la commande publique et de confier une part de l’exécution du marché à des PME conformément à l’article L 2171-8 du code de la commande publique.
Par ailleurs, par l’effet combiné des dérogations au principe d’allotissement et aux conditions de recours au marché de conception réalisation, les maîtres de l’ouvrage peuvent également passer, sur le fondement de l’article L 2171-3 du code de la commande publique, des marchés globaux de performance permettant d’associer l’exploitation ou la maintenance à la réalisation ou à la conception-réalisation de prestations afin de remplir des objectifs chiffrés de performance.
Un rappel des règles mobilisables en cas de dégradations sur les chantiers de travaux en cours
Outre les équipements et bâtiments publics, certains ouvrages et travaux qui n’avaient pas encore été réceptionnés ont été touchés par les violences urbaines. Le ministère de l’économie a donc publié une fiche technique sur les conséquences juridiques des dégradations survenues sur les chantiers en cours. La fiche opère un rappel bienvenu des règles en vigueur permettant de déterminer la responsabilité de la prise en charge des opérations de réfection ou de reconstruction.
Garde de l’ouvrage relevant de la responsabilité du titulaire du marché jusqu’à réception des travaux par le maître d’ouvrage
La fiche technique commence par rappeler le principe de base : les dégradations de chantier sont à la charge du titulaire du marché tant que la réception des travaux n’a pas eu lieu. Le transfert de garde du fait de la réception des travaux peut être partiel ou survenir après mise en demeure du titulaire.
Le titulaire du marché peut néanmoins démontrer qu’il n’avait pas la garde de l’ouvrage.
Ainsi, dans le cadre de travaux sur des bâtiments existants, une entreprise qui n’a pas l’entière disposition du bâtiment ne peut voir sa responsabilité engagée sur le fondement de la garde de l'ouvrage.
De même, en cas de construction de bâtiments neufs, l’entreprise, réputée être le gardien de l’ouvrage jusqu’à réception, peut être exonérée si elle démontre que la dégradation de l’ouvrage résulte non pas d’un défaut dans la garde de l’ouvrage, mais d’une faute de la personne publique dans l’exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, ce qui justifierait une indemnisation à son profit pour les préjudices en résultant. Un partage de responsabilité est également envisageable en cas de cumul de fautes du titulaire et du maître de l’ouvrage.
La fiche précise enfin que lorsque la responsabilité de l’entreprise est établie du fait de la garde de l’ouvrage, elle est tenue de procéder à une remise en état à ses frais. Le maître d’ouvrage peut prendre un ordre de service pour ordonner la reconstitution des ouvrages et la poursuite de l’exécution des travaux « aux conditions du marché ». Il a cependant la possibilité d’avancer les frais au titulaire, au besoin à l’aide des sommes versées par sa compagnie d’assurances, et de lui en demander ensuite le remboursement ensuite.
Possibilité d’aménager le contrat afin d’assurer la poursuite de son exécution
La fiche technique explique que le titulaire doit poursuivre l’exécution du contrat aux conditions économiques initiales et assumer tous les coûts de réfection, de démolition et de reconstruction en sa qualité de gardien de l’ouvrage, et ce, même en cas de force majeure. En principe, il ne peut prétendre à une indemnité pour travaux supplémentaires. Il peut seulement faire jouer la théorie de l’imprévision si les conditions sont réunies.
Cependant, les parties peuvent déroger à ce régime de responsabilité et convenir d’un accord, y compris après la survenance du sinistre.
Tout d’abord, les parties peuvent s’entendre pour décider d’une interruption de travaux et proroger les délais d’exécution du contrat, le temps de la remise en état des chantiers et de la reprise des travaux. Il s’agit alors d’une modification des modalités d’exécution du contrat. En cas de suspension des travaux, les parties doivent convenir, dans un délai raisonnable, des modifications à apporter au marché et des modalités de répartition des surcoûts directement induits par cette suspension. De plus, compte tenu des circonstances particulières que constituent les émeutes, le maître d’ouvrage peut ne pas appliquer les pénalités de retard.
Ensuite, les parties peuvent avoir recours aux dispositions de l’article R 2194-2 du code de la commande publique, relatives aux modifications au titre de travaux supplémentaires, si les conditions en sont réunies. Le marché pourra être modifié lorsque des travaux, fournitures ou services supplémentaires, quel que soit leur montant, sont devenus nécessaires et ne figuraient pas dans le marché initial, à la condition qu’un changement de titulaire soit impossible. Il s’agit dans cette hypothèse d’ajouter, au marché initial, des prestations de démolition qui modifieraient les conditions préalables d’exécution du marché initial sans en modifier son objet. Dans le cas où le changement de titulaire serait impossible, il est envisageable de conclure un avenant au marché dans la limite de 50% de son montant initial pour y adjoindre ces prestations de démolition avec une rémunération du titulaire à la charge de la personne publique. Si le changement de titulaire est possible, le maître d’ouvrage doit conclure un marché de démolition distinct après publicité et mise en concurrence préalables.
En outre, en cas de bouleversement de l’économie du contrat, le cocontractant pourra demander une compensation contractuelle de toutes les pertes anormales et imprévisibles sur le fondement de la modification rendue nécessaire par une circonstance imprévisible de l’article R 2194-5 du code de la commande publique tel qu’interprété par le Conseil d’État, dans la limite de 50% du montant initial du contrat.
Enfin, les parties ont toujours la possibilité de résilier à l’amiable le contrat pour force majeure, sans indemnité pour l’entreprise, eu égard au caractère imprévisible des événements et de leur conséquence sur l’équilibre du contrat.
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