Visites domiciliaires : les établissements stables d'entreprises étrangères peuvent recevoir la visite des agents français des impôts

Une société de droit étranger est tenue, lorsqu'elle exerce une activité en France par l'intermédiaire d'un établissement stable, aux obligations résultant des articles 54, 209 et 286, I, 3°, du code général des impôts, qui exigent la passation d'écritures comptables permettant de justifier des opérations imposables en France, de sorte que lorsqu'elle a méconnu ses obligations déclaratives, elle peut être présumée avoir omis sciemment de passer ou de faire passer des écritures ou avoir passé ou fait passer sciemment des écritures inexactes ou fictives dans des documents comptables dont la tenue est imposée par le code général des impôts. En conséquence, doit être approuvé le premier président d'une cour d'appel qui, s'agissant d'une société domiciliée dans un autre État membre de l'Union européenne exerçant une activité taxable en France par l'intermédiaire d'un établissement stable, déduit de l'existence de présomptions qu'elle a omis de comptabiliser les recettes provenant de cette activité et de souscrire les déclarations fiscales correspondantes, l'existence de présomptions d'omissions comptables entrant dans le champ d'application de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, et qui retient que la mise en oeuvre de ce texte n'entraîne pas la violation des principes de liberté d'établissement et de non-discrimination des sociétés au sein de l'Union européenne, dès lors qu'il ne constitue pas une mesure fiscale interdisant, gênant ou rendant moins attrayant l'exercice de la liberté d'établissement, en ce qu'il n'impose aucune obligation particulière aux contribuables, et qu'aucune disposition nationale n'exige d'une telle société qu'elle tienne une comptabilité complète en France, établie selon la réglementation nationale et conservée sur le territoire national.

L’article L. 16 B du livre des procédures fiscales (LPF) confère aux agents des impôts un droit de visite et de saisie en tous lieux, même privés, pour la recherche des infractions en matière d’impôts directs et de taxes sur le chiffre d’affaires. Placé sous le contrôle de l’autorité judiciaire à tous les stades de son déroulement, ce droit de visite et de saisie est soumis à des règles très strictes destinées à concilier les nécessités de l’action fiscale qui peuvent exiger que des agents du fisc soient autorisés à opérer des investigations dans des lieux privés, d’une part, et le respect de la liberté individuelle sous tous ses aspects, et notamment celui de l’inviolabilité du domicile, d’autre part.

Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation, un juge des libertés et de la détention avait rendu une ordonnance autorisant une visite domiciliaire dans des locaux susceptibles d’être occupés par la société Orefi orientale et financière ainsi que par la société Orefa, société de droit luxembourgeois disposant d’un établissement stable en France, en vue de rechercher la preuve de la commission, par cette dernière société, de faits caractérisant un délit de fraude fiscale.

Ayant interjeté appel devant le premier président de la cour d’appel de Paris, et celui-ci ayant, par une ordonnance en date du 3 mars 2021, confirmé la requête du juge des libertés et de la détention, la société Orefa s’est pourvue en cassation, aux motifs que :

  • l’article L. 16 B du LPF n’autorise une visite domiciliaire qu’en cas d’omission volontaire de passer des écritures comptables ;
     
  • en affirmant qu’une simple présomption d’absence de déclaration en France suffisait à justifier une visite domiciliaire à l’encontre d’une société domiciliée dans un autre État membre de l’Union européenne, le juge du fond aurait violé les dispositions du droit de l’Union.

En réponse, la Cour de cassation trouve l’occasion de s’exprimer sur l’application des contraintes posées par l’article L. 16 B du LPF aux établissements stables exploités, en France, par des entreprises étrangères, apportant ainsi une pierre importante à l’édifice du droit fiscal international.

L’omission d’écritures comptables n’est qu’un des cas d’application de l’article L. 16B du LPF

Les avocats de la société requérante invoquent l’argument selon lequel « l’article L. 16 B du LPF n’autorise une visite domiciliaire qu’en cas d’omission volontaire de passer des écritures comptables ». Dans sa motivation, la Cour de cassation ne prend pas la peine de répondre explicitement à ce premier moyen, tant la seule lecture de l’article L. 16 du LPF – qui énonce que la visite domiciliaire peut être diligentée contre le contribuable qui est présumé s’être « soustrait à l’établissement ou au paiement des impôts sur le revenu ou sur les bénéfices ou des taxes sur le chiffre d’affaires en se livrant à des achats ou à des ventes sans facture, en utilisant ou en délivrant des factures ou des documents ne se rapportant pas à des opérations réelles ou en omettant sciemment de passer ou de faire passer des écritures ou en passant ou en faisant passer sciemment des écritures inexactes ou fictives dans des documents comptables dont la tenue est imposée par le code général des impôts » – nous convainc que si l’omission volontaire de passer des écritures comptables constitue effectivement un cas autorisant la visite domiciliaire, elle n’est cependant que l’un des nombreux cas expressément énumérés par ce texte, et dans l’hypothèse où il serait éventuellement possible d’envisager une incertaine gradation de ces fautes, au point que certains des agissements visés par ce texte caractériseraient plus que d’autres un comportement fautif du contribuable, celle-ci serait sans portée, dans la mesure où la Cour de cassation ne limite pas le champ d’application de l’article L. 16 du LPF à la recherche de la preuve des cas les plus graves de fraude (Com. 6 oct. 2021 n° 21-13.072, Rev. sociétés 2022. 306, note S. Jambort  ; RJF 1/22 n° 74 ; 6 oct. 2021 n° 21-13.075, Rev. sociétés 2022. 306, note S. Jambort  ; Société Carnot distribution, RJF 1/22 n° 74 ; 6 oct. 2021 n° 21-13.076, Société Junot distribution : RJF 1/22, n° 74 ; 6 oct. 2021 n° 21-13.077, Société Chail distribution, RJF 1/22, n° 74).

L’article L. 16 B s’applique aux entreprises étrangères disposant d’un établissement stable en France

L’enseignement majeur de cet arrêt réside dans l’application de l’article L. 16 B du LPF – et, partant, des obligations comptables – aux établissements stables exploités, en France, par les entreprises ayant leur siège social dans un autre État.

Ce n’est pas la première fois que la Cour de cassation se penche sur le mélange détonnant du droit fiscal international et des procédures fiscales françaises, mais jusqu’à présent, ce fut pour « botter en touche ». Les hauts magistrats considèrent ainsi que, puisque de simples présomptions de fraude suffisent à justifier l’autorisation de visite domiciliaire, le juge de l’article L. 16 B est dispensé de rechercher s’il existe réellement un établissement stable, notamment en ce qui concerne les conventions fiscales bilatérales (Com. 9 mars 2010, n° 09-14.707 P, Dalloz actualité, 23 mars 2010, obs. X. Delpech ; Glas c/ Direction nationale des enquêtes fiscales, D. 2010. 763, obs. X. Delpech  ; RJF 6/10, n° 601 ; 29 juin 2010, n° 09-15.706, RJF 12/10, n° 1191 ; 3 avr. 2012, n° 11-15.325, RJF 7/12, n° 710), la Cour considérant par ailleurs que la discussion sur l’application de la convention fiscale ne relève pas du magistrat appelé à se prononcer sur l’autorisation de visite, mais du juge de l’impôt (Com. 30 mai 2012, n° 11-14.601, RJF 10/12, n° 931 ; 26 juin 2012, n° 11-21.047 P, Finworldgest c/ Directeur général des finances publiques, D. 2012. 1815  ; RJF 11/12, n° 1030). Il s’ensuit qu’il y a lieu de distinguer entre les litiges relatifs à l’application des conventions fiscales internationales, susceptibles d’avoir des conséquences sur le droit d’imposition de la France et dont la compétence est dévolue au juge de l’impôt, et ceux suscités par les procédures de recherche des infractions fiscales, qui ressortent de la compétence des magistrats judiciaires. Les conventions internationales pourraient-elles faire obstacle au déroulement, en France, des procédures organisées par la loi française ? L’arrêt rendu le 3 avril 2012 par la Cour de cassation pourrait être le dernier clou dans le cercueil des prétentions fantaisistes d’une requérante errant dans les ténèbres du droit fiscal sans qu’un conseil expert pût lui apporter la chandelle qui accompagnait les errances de Lady Macbeth, les hauts magistrats ayant ainsi jugé qu’en se bornant à rappeler que l’article L. 16 B du LPF n’exige que des présomptions, on ne saurait sérieusement soutenir que lorsque l’administration entend solliciter l’autorisation de mettre en œuvre son droit de visite et de saisie à l’encontre d’une société étrangère dont le siège social se trouve dans un pays ayant conclu avec la France une convention fiscale bilatérale, elle doit s’assurer que la convention fiscale conclue entre les deux États concernés n’est pas susceptible de faire obstacle à l’imposition envisagée et elle doit, par conséquent, caractériser la présomption de fraude au regard des critères de cette convention fiscale (Com. 3 avr. 2012, n° 11-15.325, préc., RJF 7/12, n° 710 ).

Le rempart des conventions fiscales, derrière lequel les requérants ont dérisoirement cherché à se protéger avait donc depuis longtemps volé en éclats, et c’est tout naturellement que le premier motif relevé par la Cour pour rejeter le pourvoi de la société Orefa réside dans le fait qu’« une société de droit étranger est tenue, lorsqu’elle exerce une activité en France par l’intermédiaire d’un établissement stable, aux obligations résultant […] du code général des impôts, qui exigent la passation d’écritures comptables permettant de justifier des opérations imposables de France ». Au regard tant du droit fiscal international que du droit fiscal français, ce motif ne nous surprend pas, pas plus qu’il ne nous étonne.

Il est de principe, conformément aux règles posées par les conventions fiscales internationales, qu’une entreprise d’un État qui exerce une activité dans l’autre État n’est imposable dans cet État que si l’activité dans cet État est exercée par l’intermédiaire d’un établissement stable, et cette règle emporte par elle-même deux conséquences inéluctables :

• d’une part, les résultats d’exploitation de l’établissement stable sont déterminés en procédant comme si cet établissement était une entreprise indépendante, traitant avec le siège dans des conditions de pleine concurrence. Selon ce principe, les bénéfices à imputer à un établissement stable sont ceux que cet établissement aurait réalisés si, au lieu de traiter avec son siège central, il avait traité avec une entreprise entièrement distincte aux conditions et aux prix du marché ordinaire ;

• d’autre part, dans l’État de son lieu de situation, l’établissement stable n’est pas seulement soumis à l’impôt mais il est également assujetti à toutes les règles du droit fiscal applicables aux entreprises ayant leur siège social dans ce même État. C’est donc tout naturellement qu’une entreprise luxembourgeoise exploitant un établissement stable en France voit cet établissement soumis à toutes les règles comptables et fiscales édictées par la loi française et applicables aux entreprises exerçant leur activité en France, à l’exclusion de toutes autres règles.

En l’espèce, dès lors que la société Orefa, de droit luxembourgeois, exploitait en France un établissement stable, ce dernier devait être considéré comme une entreprise indépendante, et était assujetti aux obligations comptables et fiscales édictées à l’encontre des entreprises françaises tant par le plan comptable général français que par le code général des impôts français, de telle sorte que la transgression de ces règles appelle les sanctions édictées par la loi française. Il était donc aussi logique que naturel que l’administration française, suspectant des actes frauduleux de la part de cet établissement, recourût à la procédure visée par l’article L. 16 B du LPF, et c’est dans ce sens que s’est exprimée la haute juridiction pour rejeter le pourvoi de la société requérante, enseignement essentiel de cet arrêt qui tire les conséquences logiques des principes essentiels du droit fiscal international.

© Lefebvre Dalloz