Nullités en droit des sociétés : la réforme effective

Entrée en vigueur le 1-10-2025, l’ordonnance du 12-3-2025, prise en application de la loi du 13-6-2024 visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France, modifie le régime des nullités en droit des sociétés, que la société soit commerciale ou civile, afin de le simplifier et de le clarifier. L’objectif de la réforme est de renforcer la sécurité juridique des sociétés, lors de leur constitution, et de leurs actes et délibérations, en limitant les causes de nullité et en encadrant leurs effets.


Un socle commun

Les articles L 235-1 à L 235-14 du Code de commerce, qui fixent le régime général des nullités pour les sociétés commerciales, sont abrogés. C’est désormais le Code civil (art. 1844-10 et suivants) qui fixe le droit commun des nullités applicables aux sociétés, qu’elles soient civiles ou commerciales. Les causes de nullité sont en effet unifiées pour toutes les sociétés, quelle que soit leur forme sociale.
 

Nullité de la société

Les causes de nullité des sociétés sont réduites et communes à toutes les sociétés. Le droit français est ainsi aligné sur le droit européen (Directive UE 2017/1132 du 14-6-2017).

Deux causes possibles

Désormais, la nullité d’une société (C. civ. art. 1844-10, al. 1) ne peut résulter que :

  • de l’incapacité de tous les fondateurs ;
  • ou de la violation des dispositions fixant un nombre minimal de 2 associés.

Si l’illicéité de l’objet social ne constitue plus une cause de nullité de la société, la clause statutaire énonçant un objet social illicite peut néanmoins être réputée non écrite (voir ci-après).

La procédure spécifique de régularisation après mise en demeure en cas de nullité fondée sur un vice du consentement ou l’incapacité d’un associé (C. civ. art. 1844-12), peu utilisée dans la pratique, est abrogée.

 

 Les règles régissant les nullités des sociétés sont désormais regroupées en une disposition unique au sein du Code civil

 

Clause statutaire réputée non écrite

Toute clause statutaire contraire à une disposition impérative du droit des sociétés dont la violation n’est pas sanctionnée par la nullité de la société est réputée non écrite (C. civ. art. 1844-10, al. 2). La clause est donc censée n’avoir jamais existé. Cette règle, qui existait déjà, ne visait jusqu’à présent que le Titre IX du Livre III du Code civil (soit les dispositions relatives au contrat de société). Elle concerne désormais toutes les dispositions impératives du droit des sociétés. Son champ d’application est donc plus large.

Conséquences de la nullité

Sans changement, lorsque la nullité de la société est prononcée, cette nullité met fin au contrat de société sans rétroactivité. À l’égard de la société, la nullité produit les effets d’une dissolution judiciaire.

L’ordonnance prévoit que la société, qu’elle soit civile ou commerciale, est liquidée conformément à ses dispositions statutaires et aux règles du Code de commerce relatives à la liquidation des sociétés commerciales (C. com. art. L 237-1 et suivants).

Si la société est devenue unipersonnelle (cas où la société a un seul associé et cet associé unique est une personne morale), elle n’est pas liquidée, conformément à l’article 1844-5 al. 3 du Code civil. Dans ce cas, la dissolution entraîne la transmission universelle du patrimoine (TUP) de la société à l’associé unique.

 

Nullité des apports

Causes de nullité

La nullité d’un apport (C. civ. art. 1844-10-1, al. 1) ne peut résulter que de la violation :

  • d’une disposition impérative du droit des sociétés, à l’exception de l’obligation de gérer la société dans son intérêt social en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ;
  • ou de l’une des causes de nullité des contrats en général (par exemple, apport fictif ou apport d’un bien en violation d’un pacte de préférence ou d’une promesse de vente).

Conséquences de la nullité

La nullité de l'apport entraîne (C. civ. art. 1844-10-1, al. 2) :

  • l'annulation des parts sociales ou des actions émises en contrepartie de l’apport ;
  • et la restitution, par la société, des engagements exécutés par l'apporteur (restitution en nature ou en valeur, absence de prise en compte des bénéfices, etc.).

Si tous les apports sont annulés, qu'ils aient été souscrits au cours de la constitution de la société ou postérieurement à celle-ci, la société est dissoute et liquidée (C. civ. art. 1844-10-1, al. 3), sauf si elle est devenue unipersonnelle (transmission universelle du patrimoine de la société à l’associé unique).
 

La notion de violation d’une disposition impérative du droit des sociétés étant large, il appartiendra au juge de dire quelle règle est impérative

 

Nullité des décisions sociales

Causes de nullité

Désormais, la nullité des décisions sociales (et non plus la nullité des actes et des délibérations) (C. civ. art.1844-10, al. 3) ne peut résulter que de :

  • la violation d’une disposition impérative du droit des sociétés, à l’exception des dispositions relatives à la prise en compte de l’intérêt social et des enjeux sociaux et environnementaux de l’activité de la société ;
  • ou de l’une des causes de nullité des contrats en général.

La nullité s’applique uniquement aux actes décisionnels internes de la société (délibération de l’assemblée générale ou du conseil d’administration, par exemple), ce qui exclut les conventions passées par la société avec des tiers, ainsi que les avis ou recommandations émis par les instances collectives de la société.

Prononcé de la nullité

Le triple test obligatoire

Lorsque le juge est saisi d’une action en nullité d’une décision sociale, il doit désormais procéder à un triple test (C. civ. 1844-12-1). Avant de prononcer la nullité, le juge doit vérifier que les 3 conditions suivantes sont remplies :

  • le demandeur justifie d’un grief résultant d’une atteinte à l’intérêt protégé par la règle dont la violation est invoquée. Le demandeur doit donc prouver que l’irrégularité soulevée lui cause un préjudice ;
  • l’irrégularité a eu une influence sur le sens de la décision. Autrement dit, la décision aurait été différente en l’absence de l'irrégularité ;
  • les conséquences de la nullité pour l’intérêt social ne doivent pas être excessives, au jour de la décision les prononçant, au regard de l’atteinte à l’intérêt dont la protection est invoquée. Le juge doit donc procéder à un contrôle de proportionnalité mettant en balance les conséquences de l'irrégularité et celles de l'annulation de la décision au regard de l’intérêt social de la société.

 

La nullité de la décision sociale n’est plus automatique mais conditionnée au triple test

 

Exclusion du triple test

Certaines causes de nullité prévues par la loi échappent expressément au triple test et donc au contrôle du juge.

Citons, par exemple :

  • dans les SA

L’action en nullité de l’élection du président du conseil d’administration. Ce dernier, élu par le conseil d’administration parmi ses membres, doit être, à peine de nullité de la nomination, une personne physique (C. com. art. L 225-47, al.1). Cet article prévoit expressément que l'article 1844-12-1 (triple test) n'est pas applicable à cette action en nullité.

Il en est de même pour l’action en nullité de la nomination d’un administrateur de SA réalisée en violation de l’article L 225-18 du Code de commerce.

  • dans les SARL

L’action en nullité de la transformation d'une SARL en société en nom collectif (SNC), en commandite simple (SCS) ou en commandite par actions (SCA) pour défaut d’accord unanime des associés (C. com. art. L 223- 43, al. 1). Là encore, l’article précise que le triple test ne s’applique pas.

  • dans les SCA

La participation d’un commandité à la nomination d’un membre du conseil de surveillance d’une société en commandite par actions (SCA) et la nomination d’un commandité comme membre du conseil de surveillance sont interdites (C. com. art. L 226-4, al. 1 à 3). Toute nomination en violation de cette disposition est nulle, mais le triple test ne s’applique pas.

Les nullités en cascade désormais encadrées

La nullité d’une décision sociale emporte, du fait de sa rétroactivité, l’annulation de tous les actes accomplis sur le fondement de cette décision. La décision annulée est, en effet, censée n’avoir jamais existé (C. civ. art. 1178, al. 2) et doit être considérée comme n’ayant produit aucun effet. Ainsi, un associé exclu retrouve rétroactivement sa qualité d’associé lorsque la décision prononçant son exclusion est annulée. Or, le défaut de convocation d’un associé à une assemblée est une cause de nullité de l’assemblée. En cas d’annulation de la délibération ayant exclu l’associé, toutes les assemblées convoquées entre l’exclusion et l’annulation peuvent être remises en cause.

L’annulation d’une décision sociale étant donc susceptible d’entraîner l’annulation d’une ou d’autre(s) décision(s) sociale(s), deux mesures sont prévues afin de limiter ces nullités en cascade qui peuvent mettre en péril la société et qui sont sources d’insécurité :

  • le juge peut différer dans le temps les effets de la nullité si la rétroactivité de la nullité d’une décision sociale est de nature à produire des effets manifestement excessifs pour l’intérêt social (C. civ. art. 1844-15-2) ;
  • sauf disposition législative contraire, la nullité de la nomination ou le maintien irrégulier d’un organe ou d’un membre d’un organe social n’entraîne pas la nullité des décisions prises par celui-ci (C. civ. art. 1844-15-1).

 

La rétroactivité demeure mais ces deux mesures permettent d’éviter une annulation automatique des actes accomplis sur le fondement d’une décision sociale annulée.
 

Décisions prises en violation des statuts

Pas de nullité

La violation des statuts n’est pas, sauf exception prévue par la loi, une cause de nullité (C. civ. art. 1844-10, al. 4).

Exceptée dans les SAS

Dans les SAS, les statuts peuvent prévoir la nullité des décisions sociales prises en violation des règles établies par ces statuts (C. com. art. L 227-20-1). L’action en nullité fondée sur ce motif obéit au droit commun des nullités du Code civil (dont le triple test).

Dans un communiqué du 14-5-2025, l’ Association nationale des sociétés par actions (Ansa) a confirmé qu’une décision sociale de SAS prise à compter du 1-10-2025 et contraire aux statuts n’encourt pas la nullité sur le fondement de l’article L 227-20-1 précité si les statuts de la SAS ne comportent pas de clause prévoyant une telle nullité. Mais la décision pourra être annulée dans les conditions de droit commun (violation d’une règle impérative du droit des sociétés ou d’une cause de nullité des contrats en général).
 

Délai de prescription des actions en nullité

Principe

La prescription des actions en nullité de la société, de décisions sociales postérieures à sa constitution ou d’apports est désormais de 2 ans (au lieu de 3 ans) à compter du jour où la nullité est encourue (C. civ. art. 1844-14).

Pour les décisions prises antérieurement au 1-10-2025, ce nouveau délai court à compter du 1-10-2025, sans que la durée totale puisse excéder 3 ans (ancien délai). Par exemple, si l’acte irrégulier date du 1-8-2025, l’action en nullité sera prescrite le 1-10-2027 (et non le 1-8-2028, date à laquelle l’action aurait été prescrite sous le régime antérieur).

Comme actuellement, l’action en nullité est éteinte lorsque la cause de nullité a cessé d’exister le jour où le tribunal statue sur le fond. L’exception qui prévoyait que cette action n’était pas éteinte si la nullité était fondée sur l’illicéité de l’objet social est supprimée (C. civ. art. 1844-11).
 

Le délai de prescription de l’action en nullité est réduit à 2 ans
 

Un délai spécifique pour les nullités d’augmentations de capital dans les sociétés par actions (SA, SCA et SAS)

Depuis le 1-10-2025, ces nullités relèvent du droit commun des nullités des décisions sociales (suppression du régime antérieur prévoyant des nullités obligatoires et des nullités facultatives). L’action en nullité de la décision d’augmentation de capital (C. com. art. L 225-149-4, al. 2) se prescrit par 3 mois à compter de la date à laquelle la décision dont la régularité est contestée a été prise.

Le point de départ de l’action en nullité est différent si l'augmentation de capital a fait l'objet d'une délégation de pouvoirs ou de compétence au conseil d'administra­tion ou au directoire : la prescription est de 3 mois à compter de la date de l'assemblée générale au cours de laquelle le rapport sur les conditions définitives de l'opération est porté à la connaissance des actionnaires (C. com. art. L 225-149-4, al. 2).

Enfin, la nullité de la décision d'augmentation du capital est opposable à tous les souscripteurs (même ceux de bonne foi).

 

Restructurations : fusions, scissions, apports partiels d’actifs

Pour les sociétés commerciales, le régime de nullité de ces restructurations demeure au sein du Code de commerce (causes de nullité limitées, prescription abrégée de 6 mois, etc.), mais leurs règles figurent désormais au sein de la section dédiée aux fusions (C. com. art. L 236-2-1). Cet article s’applique, par renvoi, aux scissions (C. com. art. L 236-19) et aux apports partiels d’actifs soumis au régime des scissions (C. com. art. L 236-27, al. 1).

Pour les restructurations impliquant des sociétés non commerciales (sociétés civiles, notamment), le droit commun des nullités des décisions sociales (causes de nullité, triple test, prescription) s’applique (C. civ. art.1844-10 et suivants).

 

 

Ord. 2025-229 du 12-3-2025, JO du 13

 

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